L’apiculture suisse est en mode survie
Les abeilles rapportent un demi-milliard de francs à l’agriculture, tout cela sans la moindre contrepartie
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Gilles Labarthe
10 février 2023 à 19:21
Nature » Les abeilles sont les ouvrières de l’ombre pour les agriculteurs. Grâce à la pollinisation, elles fertilisent vergers et champs. Le Centre de recherche agronomique de la Confédération, Agroscope, évalue à près de 500 millions de francs par an leur «contribution économique» au rendement d’environ 75% des plantes cultivées. En déclin, les abeilles souffrent des soubresauts de la météo. Que faire? Au Parlement fédéral, deux motions ont été déposées pour soutenir l’apiculture. Interview du biologiste Francis Saucy, président de la Société romande d’apiculture.
Comment le redoux suivi du froid a-t-il impacté les colonies?
Francis Saucy: Je ne suis pas inquiet. Nous avons toujours quelques jours de redoux pendant l’hiver. Cela permet aussi aux abeilles de sortir de temps en temps et de se vider les intestins, ce qui est une bonne chose pour la santé du rucher. Le problème sera surtout celui de la quantité de nourriture dont elles disposent encore pour passer l’hiver. Mais il est vrai qu’en ce qui concerne les impacts du changement climatique, nous avons peu de recul. Avant, pour l’apiculteur, la saison allait du 15 mars au 15 septembre. Cela demande beaucoup plus de travail et de surveillance sanitaire des colonies, actuellement.
Plus de 38% des colonies d’abeilles en Suisse sont mortes avant et pendant l’hiver 2021-2022…
L’année 2021 a été très compliquée, surtout en raison de conditions météo très défavorables et d’une production de miel très faible: environ 7 kilos par ruche seulement (contre 20 en moyenne, ndlr). C’était catastrophique. En vingt ans, c’est la première fois que je vois ça.
En Suisse, la valeur totale de la production de miel approche 65 millions de francs par an pour plus de 3000 tonnes, avec des évolutions en dents de scie. Le bilan en 2022 apparaît-il comme un retour à la normale, avec une moyenne de 24 kg par colonie?
C’était une très bonne année. Ce qui montre aussi que pour la production, comme pour les abeilles, nous sommes dépendants des conditions météo et du climat. Mais outre les parasites comme le varroa, il reste d’autres préoccupations: l’usage de pesticides dans l’agriculture, surtout dans la région du Plateau, le fauchage, l’absence de fleurs, la réduction des surfaces de la biodiversité…
Est-ce que les apiculteurs suisses arrivent à gagner leur vie? Pour la plupart des 18 000 membres d’Apisuisse, l’organisation faîtière des associations d’apiculteurs, cela reste une activité accessoire…
Pour la grande majorité des apiculteurs en Suisse, qui ont moins de dix ruches en général, c’est une activité de loisir. La vente de miel sert tout juste à couvrir les frais. Certains apiculteurs sont actifs dans la vente de colonies pour compléter le cheptel, ou de reines. Mais le nombre de professionnels s’avère ici très restreint.
Vous êtes basé à Vuippens, près du lac de la Gruyère…
J’ai une vingtaine de colonies, mais seulement une dizaine en production. J’ai récolté 30 kilos de miel par ruche en moyenne en 2022, c’est très bien. Je le vends en pot depuis chez moi.
Vous n’avez pas d’autres rentrées financières? Des subventions au niveau fédéral?
Non, aucune subvention n’est attribuée directement aux apiculteurs. La loi ne prévoit pas ce genre de disposition, à la différence des exploitations agricoles. Il existe toutefois des soutiens pour la recherche, le suivi sanitaire et aussi la formation, que gèrent les associations d’apiculture (lire ci-dessous).
Des soutiens directs ont pourtant été mis en place dès les années 1990 dans les pays de l’Union européenne, face aux catastrophes que subit le secteur…
Les rapports sur l’état de l’apiculture en Suisse estiment qu’il y a environ quatre colonies d’abeilles par kilomètre carré, et que l’apiculture de loisir est assez populaire, donc suffisante pour assurer la pollinisation de toutes les cultures. C’est la position du Conseil fédéral. Il y a toutefois des régions où cela commence à poser problème, comme en Valais, pour les vergers dans les environs de Martigny. Peut-être faudra-t-il à l’avenir faire comme en Californie: amener au printemps des ruches sur place pour polliniser les arbres fruitiers.
Encore faudrait-il avoir une vision complète de la situation en Suisse pour orienter une stratégie fédérale. Ce n’est plus le cas aujourd’hui?
Nous n’avons que les données relevées par notre faîtière, Apisuisse, des sondages et des études d’Agroscope. Deux motions pour soutenir l’apiculture, signées par des représentants de tous les partis, ont été déposées par la conseillère nationale écologiste Delphine Klopfenstein Broggini, lors de la séance de décembre dernier des Chambres fédérales. L’une d’elles demande au gouvernement de faire un bilan des sources de données disponibles dans le domaine de l’apiculture et de mettre en place une statistique nationale officielle.
Depuis 1876, un recensement des colonies d’abeilles avait lieu tous les cinq ans, mais il a été supprimé. Le rétablir permettrait de disposer d’indicateurs fiables sur le nombre d’apiculteurs, de ruchers et de colonies d’abeilles, mais aussi sur l’évolution et la mortalité des colonies d’une année à l’autre, ainsi que sur l’ensemble de la contribution de la filière à l’économie nationale.
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