«J’étais préparé à vivre cela»
En charge de la Santé, le conseiller fédéral Alain Berset se retrouve en première ligne dans la lutte contre le coronavirus en Suisse. Il appelle la population à agir ensemble et surtout à ne pas relâcher ses efforts
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Philippe Boeglin et Philippe Castella
27 mars 2020 à 23:03
Interview » Son calme au milieu de la tempête en rassure beaucoup, en énerve quelques-uns. En tant que ministre de la Santé, Alain Berset est le personnage clé de la lutte contre le coronavirus en Suisse. Depuis le début de la crise, il s’invite plusieurs fois par semaine dans votre salon par télévision interposée. Ce vendredi en conférence de presse, le Fribourgeois a incité les Suisses à poursuivre l’effort dans le respect des règles d’hygiène et de distanciation sociale «alors que les beaux jours arrivent». Et d’en appeler à leur responsabilité en prévision des vacances pascales: «On s’attend vraiment à ce qu’il n’y ait pas de bouchons au Gothard cette année. Restez à la maison afin de ne pas mettre le Tessin dans une situation encore plus difficile.» Le conseiller fédéral a aussi accepté de se confier à La Liberté. Une interview réalisée au téléphone par deux journalistes à domicile.
N’avez-vous pas l’impression de vivre un cauchemar dont vous allez bientôt vous réveiller?
Alain Berset C’est vrai que nous vivons quelque chose de très particulier, d’inconnu. Mais on savait que cela pouvait se produire. Je rappelle le débat mené autour de la loi sur les épidémies. C’était précisément pour se préparer à une situation comme celle-ci. Et quand elle se présente, il faut agir.
Comment la vivez-vous?
Je peux vous dire que j’y passe tout mon temps depuis largement plus d’un mois. Et bien sûr, depuis le début, je respecte de manière très stricte les règles d’hygiène: lavage des mains, distance sociale, etc.
Le nombre de morts est en train d’exploser en Suisse. Beaucoup de gens sont anxieux. Quel message leur adressez-vous?
Nous avons toujours été transparents. Pour les personnes jeunes et en bonne santé, c’est un virus qui va provoquer dans l’immense majorité des cas des symptômes assez bénins. Mais il peut aussi entraîner des complications graves, voire mortelles, pour les groupes à risque: les personnes de plus de 65 ans et celles qui ont des maladies préexistantes. Elles doivent se protéger et ne quitter leur domicile qu’en cas de nécessité.
Et que dites-vous au personnel soignant?
Il est particulièrement exposé et son engagement est remarquable. Il faut adresser un grand merci à toutes ces personnes essentielles. Mais n’oublions pas les autres personnes qui travaillent. La Suisse vit plus lentement que d’habitude, mais grâce à elles, le pays continue de fonctionner.
Le personnel soignant a très mal accueilli la flexibilisation de son temps de travail et de repos. Pourquoi l’avoir fait?
Contrairement à ce que certains ont interprété, nous n’avons jamais voulu supprimer les compensations en temps ou en salaire auxquelles ces personnes ont droit. L’objectif était de donner un peu de flexibilité aux institutions de santé qui sont soumises à une forte pression dans une situation extraordinaire.
Vous semblez gérer cette crise avec beaucoup de calme. Est-ce pour donner une image rassurante à la population?
J’ai toujours été préparé dans ma fonction à ce type de situation. Je ne cherche pas à donner une image. C’est vraiment comme cela que je fonctionne au quotidien. Face à une situation qui évolue chaque jour, sans aucune certitude, il faut faire preuve de beaucoup de modestie, de flexibilité, de calme et de détermination.
Mais quand vous qualifiez de politique-spectacle les décisions de confinement prises dans les pays voisins, en France et en Italie, n’est-ce pas de l’arrogance?
Je n’ai pas du tout assimilé le confinement à de la politique-spectacle. C’est une mesure très dure. D’ailleurs, la Suisse ne l’a jamais exclue. J’ai dit par contre qu’il n’est pas dans nos habitudes politiques de faire des déclarations spectaculaires. Les mesures que nous avons prises n’en sont pas moins efficaces. Et vous avez évoqué la France, je peux vous faire une confidence: j’avais plutôt un autre pays en tête en disant cela.
On entend des critiques à l’étranger sur le fait que la Suisse reste en retrait dans ses mesures et on lui reproche de favoriser ainsi la propagation du virus…
Ce qui compte, ce ne sont pas les mesures décrétées d’en haut, mais le comportement des gens. Il faut que nos recommandations soient suivies, et cela sur la durée. Il est très important que la population adhère consciemment à ces mesures et qu’elle les suive par sa volonté propre.
« Il faut que les mesures soient suivies sur la durée »
Alain Berset
Entre santé de la population et maintien de la machine économique, le cœur du Conseil fédéral ne balance-t-il pas un peu trop?
Non. Dès le départ, nous avons clairement mis la priorité sur la santé de la population. Regardez les mesures que nous avons prises et leurs conséquences économiques: elles sont brutales. Mais la population doit aussi pouvoir continuer d’accéder aux magasins, et ceux-ci doivent être approvisionnés. Cela vaut aussi pour l’industrie. Prenons un exemple: la Suisse produit des appareils de respiration très recherchés. Ce secteur travaille à plein régime, ses fournisseurs sont actifs dans tout le pays. On ne peut pas se permettre de les fragiliser. Tirer la prise et imaginer qu’on puisse tenir ainsi plus de trois ou quatre jours, c’est une illusion.
L’opinion publique vous est très favorable. Vous passez pour le père de la nation, mais ne craignez-vous pas un revirement quand la situation va empirer?
Faire de la politique, c’est prendre des décisions. Elles n’ont pas à être populaires ou impopulaires. Il y a six mois, personne n’aurait pensé qu’on puisse aller si loin: nous avons fermé tous les restaurants, les bars, les salles de spectacle, les installations sportives, les écoles. Ces mesures seront peut-être jugées positivement ou négativement dans quelque temps. On verra. La seule préoccupation du Conseil fédéral, c’est d’agir dans l’intérêt du pays et de sa population.
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