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Société

Biais cognitifs. même «les génies ne sont pas à l’abri»

Le Fribourgeois Pascal Wagner-Egger a publié un ouvrage sur les biais cognitifs

Pascal Wagner, auteur d’ un livre sur les biais cognitifs Photo Lib/Alain Wicht, Fribourg, le 17.10.2022Alain Wicht/Alain Wicht/La Liberté

Tamara Bongard

Tamara Bongard

24 octobre 2022 à 15:02

Psychologie » L’effet placebo, nous le connaissons tous plus ou moins: en croyant à l’efficacité d’un traitement, on augmente son efficacité. En revanche, nous ignorons probablement que ce phénomène est un biais cognitif, un «tour» que nous jouent nos petites cellules grises. Et ce n’est de loin pas le seul. Si nous ne savons pas nommer ces mécanismes nous en avons déjà expérimenté de nombreux. Vous en doutez? Lisez donc Méfiez-vous de votre cerveau: 30 biais cognitifs décrits et expliqués pour moins se tromper et mieux raisonner, un ouvrage extrêmement intéressant et amusant rédigé par Pascal Wagner-Egger, un enseignant-chercheur en psychologie sociale et en statistique à l’Université de Fribourg, dont les travaux sur le complotisme ont souvent été mis en lumière.

Dans ce petit livre, il détaille 30 biais cognitifs en vulgarisant la théorie, en donnant des exemples concrets tirés de la vie de tous les jours, de l’histoire et des médias. Au début de chaque chapitre, les dessins de Gilles Bellevaut croquent avec humour ces situations du quotidien, ce qui permet de les rendre compréhensibles en un coup d’œil. Si l’on en croit Pascal Wagner-Egger, ces images devraient encore davantage marquer le lecteur que ses explications théoriques: elles influencent plus le cerveau que les éléments abstraits, selon le biais cognitif appelé «l’effet du caractère vivant de l’information». Il semblerait bien qu’ils soient partout…

Qu’est-ce qu’un biais cognitif?

«C’est un peu de la prévention de la pensée, comme nous avons une prévention de la santé»
Pascal Wagner-Egger

Pascal Wagner-Egger: C’est une erreur que l’on commet en utilisant des heuristiques, des règles simples de raisonnement très faciles à produire et rapides qui sont presque automatiques. Je cite toujours comme exemple d’heuristique une situation facilement imaginable: si on dépose quelqu’un dans une forêt obscure muni seulement d’une petite lampe de poche, très vite tous les bruits autour de lui le mettront en alerte et lui feront penser qu’il y a des animaux dangereux ou des êtres humains qui lui veulent du mal. Cette heuristique va l’amener à fuir, ce qui est très efficace pour la survie, mais qui est mauvais pour la connaissance car la plupart du temps ces bruits sont dus au vent, à un animal ou à un congénère inoffensifs. Il y a actuellement peu de dangers objectifs. Etre irrationnel de ce point de vue là est rationnel du point de vue de la survie, qui est le but premier du cerveau.

Les biais cognitifs nous sont donc plutôt utiles?

Ou nous étaient utiles dans un monde dangereux. Maintenant que les dangers sont moins nombreux qu’auparavant, ce n’est plus vraiment le cas. Le problème est que cette pensée appelée aussi pensée intuitive fonctionne à plein régime sur les réseaux sociaux, où on est intéressé par les dangers potentiels.

Les biais cognitifs ont-ils toujours existé?

C’est ce que l’on pense, mais il peut aussi s’agir de biais sociaux appris pendant la petite enfance et qui deviennent des automatismes. Certains biais sont liés à la survie, d’autres le sont moins mais ont plutôt trait au groupe social ou à la culture.

Quand les a-t-on découverts?

«Cette "pensée intuitive" fonctionne à plein régime sur les réseaux sociaux, où on est intéressé par les dangers potentiels»
Pascal Wagner-Egger

Les psychologues Tversky et Kahneman, Prix Nobel d’économie en 2002, les ont décrits les premiers depuis les années 1970. Selon la théorie de l’Homo economicus, les êtres humains sont rationnels et prennent toujours les meilleures décisions. Mais Kahneman et Tversky ont observé des différences entre les actes et la théorie. Cet écart représentait cette irrationalité par rapport aux théories scientifiques mais possédait une part de rationalité par rapport à la survie de l’espèce.

Ont-ils listé tous les biais cognitifs?

Ils en ont relevé une série. Maintenant il en existe beaucoup. Nous en avons choisi 30 dans le livre mais certains en identifient plusieurs centaines, qui sont des variantes de biais. D’autres théories s’affrontent sur la question, mon but était toutefois de proposer un livre tout public, reprenant la position dominante.

La recherche se poursuit-elle?

«Selon la théorie de l’Homo economicus, les êtres humains sont rationnels et prennent toujours les meilleures décisions»
Pascal Wagner-Egger

Depuis 2010, des chercheurs anglais ont montré que ces biais sont corrélés, c’est-à-dire que ce sont les mêmes personnes qui ont tendance à plus ou moins les commettre, et ce sont ces mêmes personnes qui ont le plus de croyances. Désormais, la recherche continue aussi au niveau neurologique. S’il était possible de repérer certains biais cognitifs dans le fonctionnement du cerveau quelque part, et plus encore dans des zones liées à la détection du danger, ce serait une preuve qu’il s’agit d’une ancienne adaptation de cet organe.

Le livre est aussi un guide montrant au lecteur que son cerveau l’embobine. A-t-il une vocation préventive?

Oui, c’est un peu de la prévention de la pensée, comme nous avons une prévention de la santé. Finalement, on n’empêche pas les gens de penser ce qu’ils veulent mais on leur dit de faire attention à ces croyances trop rapides qui, si elles peuvent être vraies, ont beaucoup plus de chances d’être fausses. Même les experts doivent lutter contre ces biais. On peut prendre les exemples de Newton, dont certains biais le faisaient croire à l’alchimie, et d’Einstein, qui n’a jamais accepté la physique quantique. On voit bien que les plus grands des génies ne sont pas à l’abri. L’intelligence doit s’entraîner et on peut tous en manquer à un moment ou à un autre. J’aime bien citer cette phrase de Gainsbourg: «La connerie est la décontraction de l’intelligence»!

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