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«Je suis plus que mon ethnie»

Erotisées pour leurs origines, Anna et Immaculée dénoncent la fétichisation qu’elles subissent


 Kaziwa Raim

Kaziwa Raim

24 août 2020 à 04:01

Société » «En tant que femme racisée, je n’en peux plus d’être réduite à mes origines», s’exaspère Anna Morel, 25 ans, étudiante bulloise d’origine vietnamienne. Si le terme racisé peut surprendre, sa pertinence est néanmoins défendue par les sociologues, comme le souligne Jean-François Staszak, directeur du département de géographie au sein de l’Université de Genève. «Le terme racisé désigne la condition d’une personne victime d’un processus de racisation. Autrement dit, elle est assignée à une supposée «race» du fait de certaines caractéristiques ethnotypiques telles que la couleur de sa peau, le type de ses cheveux ou encore sa morphologie.»

Le professeur soutient que si la racisation peut mener à la discrimination, elle peut également engendrer la fétichisation sexuelle. «La fétichisation du corps racisé, c’est l’idée qu’on désire une personne en fonction de sa supposée appartenance raciale», éclaire-t-il. L’expert explique que lorsqu’on fétichise un individu pour son ethnotype, on valide inconsciemment les catégories raciales au sein de notre psyché au point qu’elles nourrissent nos désirs.

L’omniprésence de la fétichisation raciale, c’est justement ce que dénonce Immaculée Mosoba, 26 ans, étudiante fribourgeoise d’origine congolaise: «Un jour, un inconnu m’a fait savoir qu’il désirait coucher avec moi parce que ça lui aurait donné l’impression de voyager en Afrique», se rappelle-t-elle avec une moue de dégoût. Anna dit partager une expérience similaire. «Un inconnu m’a dit une fois: «Avec ta grosse bouche de Chinoise, je suis sûr que t’aimes faire des fellations.» Perçues au travers du prisme de l’exotisme, l’une et l’autre ont déjà fait face à des hommes qui formulaient le désir d’entretenir des rapports sexuels avec elles «pour essayer une Noire ou une Asiat’». Sans surprise, les deux jeunes étudiantes en droit se disent exaspérées par les clichés qui pèsent sur leurs origines et sur leur genre.

Double discrimination

Jean-François Staszak parle en effet d’une double discrimination des femmes racisées en raison de leur genre et de leur ethnotype. Il précise que si les hommes racisés sont également fétichisés, ils le sont moins que leurs homologues féminines: «Contrairement aux femmes racisées, les corps des hommes non blancs n’ont pas été érotisés par la culture en Europe, du moins jusqu’à l’apparition de la pornographie moderne», affirme-t-il. Le directeur soutient que la fétichisation des femmes noires, indochinoises, latino-américaines ou arabes ne s’exprimera pas de la même manière parce que l’imaginaire européen rattache différentes sortes de fantasmes exotisants sur ces diverses catégories. «Là où la figure de la femme noire donne lieu à des fantasmes liés à sa supposée animalité, on attendra en revanche de la femme indochinoise qu’elle ait un corps androgyne et de la femme arabe qu’elle soit voluptueuse», présente-t-il.

Parmi les stéréotypes fétichisant projetés sur les femmes asiatiques, Anna parle de deux pôles extrêmes: «Soit tu es la fille soumise de bonne famille, soit tu es la femme qui aime le luxe et l’argent et qui est prête à accorder des faveurs sexuelles pour parvenir à ses fins», relate-t-elle. Immaculée constate quant à elle que la femme noire est considérée comme incapable de douceur. «On me compare souvent à une tigresse et quand je dis que je suis tendre, on ne me croit pas. On attend des femmes noires qu’elles soient féroces dans la vie et en amour.» La jeune femme parle d’un paradoxe qui pèserait sur les femmes noires: «Bien qu’ils affirment désirer coucher avec elle, j’ai déjà entendu plusieurs hommes dirent ouvertement qu’ils ne pourraient jamais s’engager dans une relation amoureuse avec une femme noire puisque jugée trop dominante.»

Si la fétichisation raciale peut paraître inoffensive parce que inconsciente et supposément flatteuse, elle est néanmoins problématique pour les personnes qui la subissent. «Inconsciemment, on réduit l’individu à un trait particulier ancré dans l’imaginaire collectif européen et la personne n’est plus sujet mais simple objet», avance Jean-François Staszak avant d’ajouter: «C’est une chose d’être désiré pour qui l’on est, c’en est une autre de l’être en fonction de la race à laquelle on est assigné et des fantasmes qui y sont liés.» En effet, Anna affirme trouver pénible de n’être parfois considérée qu’au travers du prisme des fantasmes stéréotypés relatifs à ses origines plutôt que pour l’entièreté de sa personne: «Quand tu es fétichisée, tu sens que l’autre ne s’intéresse pas à toi en tant qu’individu mais en tant qu’incarnation d’un imaginaire exotisant. C’est très réducteur», regrette-t-elle. Quant à Immaculée, la jeune femme se dit blessée par ce genre de comportement. «Je suis plus que mon ethnie et que ma culture d’origine, alors je n’ai pas envie d’être réduite à seulement ça. Quand les gens collent des fantasmes et un imaginaire érotisant sur moi, j’ai l’impression de ne pas être considérée comme une personne à part entière», conclut-elle.

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