Est-il légitime de cogner un nazi?
L'article en ligne - Web - Internet mondial se déchire sur une question d’importance : est-il juste de cogner un nazi ? Une bonne année de débats, mais toujours pas de réponse claire.
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Aurélie BAVAUD
30 janvier 2018 à 14:13
Petite remise en contexte pour les gens qui seraient passés à côté de ce phénomène : cela a commencé lorsque Richard Spencer, supporter du président américain Donald Trump et figure proéminente du mouvement identitaire, s’est pris une droite magistrale alors qu’il donnait une interview. La vidéo a naturellement fait le tour du net et a été détournée de mille et une manières. Beaucoup se sont réjouis, comparant l'assaillant à des héros de la culture populaire, comme Indiana Jones ou Captain America. Un enthousiasme déplacé, aux yeux de certains, lançant le débat qui fait encore rage aujourd’hui, alimenté par les différents évènements qui ont parsemés l’année. Mais avant de lancer votre propre carrière de super-héros en traquant les nazillons de votre quartier, quelques étapes à suivre.
Étape 1 : correctement identifier un nazi
Tout d’abord, refuser de vous laisser sortir samedi soir ne fait pas de votre parent un fasciste. Et c’est la même chose pour votre oncle dont vous avez dû supporter les blagues plus que limites durant tout le repas de Noël - ça reste problématique, mais c’est une autre histoire. La nuance est importante. Le présentateur américain Bill Maher regrette désormais d'avoir traité certains politiciens conservateurs de racistes de manière un peu trop véhémente, parce qu’aujourd’hui, alors que des gens aux idées véritablement dangereuses sont aux pouvoir, plus personne ne prend ces accusations au sérieux. Dans le même esprit, les films et jeux vidéo se servant systématiquement de nazis comme d’une sorte de boss final ont parfois contribué à leur donner une dimension « clownesque », les transformant en punching-balls. Dans le cas précité qui a ouvert le débat qui nous concerne, Richard Spencer est en l'occurrence un homme qui, entre autres choses, considère la question du « génocide noir » comme légitime. Le gendre idéal…
Et ça marche aussi dans l’autre sens. Assurez-vous bien que le nazi face à vous est bien celui que vous croyez. Une option populaire reste la dénonciation (à la famille, au patron, etc.), histoire de montrer à ces gens que leurs opinions ont des conséquences. Mais un certain nombre de gens bien ont eu quelques mauvaises surprises parce qu’ils avaient le défaut de porter le même nom ou de ressembler au manifestant brandissant une torche sur une mauvaise photo pixellisée.
C’est un détail important. La critique la plus fréquente est que frapper un nazi, c’est se rabaisser à son niveau. Alors, certes, on a tous appris qu’il ne « fallait pas faire à l’autre ce qu’on ne voulait pas qu’on nous fasse », mais dans la hiérarchie du mal, « promouvoir la suprématie de la race blanche » est bien plus haut sur la liste que « frapper quelqu’un », non? Et la gauche a de la marge avant d'égaler la droite dans la violence : statistiquement, même si elle n’est pas sans reproche, elle n'est de loin pas aussi violente que la droite. Les mettre au même niveau serait injuste.
Étape 2 : préférer la résistance non-violente
Certains argumenteraient que, d’après leur propre expérience, la réponse physique est même très efficace, et que c’est le résultat qui compte. Pour eux, le fait que Richard Spencer se soit terré comme un lapin, dans les jours qui ont suivi son attaque, et qu'il ait avoué devoir y songer à deux fois avant de fréquenter des lieux publics, compte comme une victoire. Cela dit, la méthode aurait aussi le défaut de renforcer le sentiment déjà important de victimisation de l’extrême-droite.
Cependant, ne pas user de violence, ce n’est pas rester passif, comme il est souvent reproché à ceux qui ont le privilège de ne pas compter parmi les victimes de ces groupes haineux - c'est l'un des reproches déjà adressés aux « Blancs modérés » par Martin Luther King, en 1963. Il s’agirait avant tout de changer le système et de rendre la vie en société aussi difficile pour les nazis qu’elle l’est pour les minorités. On ajoutera aussi que les politologues Erica Chenoweth et Maria J. Stephan ont conclu, dans un livre publié en 2011, que la résistance non-violente reste deux fois plus efficace que la violence physique.
Le philosophe Slavoj Žižek préconise une forme de violence symbolique, parfois plus dévastatrice que la violence physique, en agissant comme si frapper la personne en question serait encore lui accorder trop d’importance. Encore mieux, préférez la voie de la décence et de la compassion. Peut-être un peu à la façon de la comédienne Sarah Silverman, qui achève les trolls avec gentillesse, ou de Wunsiedel, cette ville allemande qui transforme chaque année une marche néo-nazie en course de charité.
Enfin, à ceux qui se raccrochent encore à la liberté d’expression pour justifier leur inaction, on rappellera que celle-ci protège d’abord contre les abus de l’État et qu’elle a ses limites, l’incitation à la haine en étant une. Paradoxalement, comme l’expliquait le philosophe Karl Popper, une tolérance absolue mène à la disparition de celle-ci.
Étape 3 : ne pas oublier de protéger son pouce
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