Les Années après, le prix Nobel pour Annie Ernaux
Voix de la mémoire collective, l’écrivaine française est lauréate du Nobel de littérature 2022
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6 octobre 2022 à 20:07
Prix Nobel de littérature » Pronostiqueur du Nobel littéraire est un métier désespérant d’ingratitude, tant l’Académie suédoise semble se plaire à déjouer les attentes en évitant de sacrer des écrivains par trop reconnus. Mais pour succéder à la poétesse objectiviste Louise Glück et à surprise tanzanienne Abdulrazak Gurnah, le jury a fait hier le choix d’une œuvre emblématique de la littérature francophone contemporaine, elle qui n’avait plus eu droit à pareil honneur depuis Modiano en 2014. Sélectionnée parmi d’autres grands favoris, de Michel Houellebecq à Maryse Condé, Annie Ernaux a été donc été désignée hier, honorée pour «le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle».
Annie Ernaux a été honorée pour «le courage et l’acuité clinique avec laquelle elle découvre les racines, les éloignements et les contraintes collectives de la mémoire personnelle»
Un couronnement pour cette autrice française de 82 ans, dont l’œuvre extraordinairement constante emprunte à l’art de l’autobiographie pour le croiser à l’histoire et à la sociologie, en récits qui ont su élever au rang de littérature des sujets aussi déconsidérés que l’avortement ou la maladie, aussi prosaïques que le «grand rendez-vous humain» de l’hypermarché Auchan de Cergy… Son œuvre, aux accents très politiques, déploie une forme d’ethnologie expérimentale capable, en partant du Je, de collecter les fragments d’une mémoire commune pour «sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais», comme elle l’écrivait en conclusion de son chef-d’œuvre, Les Années.
Il est peut-être là, le génie d’Annie Ernaux. Dans cette manière à la fois humble, exigeante et populaire d’entériner le présent collectif; de repousser les frontières du littéraire, en se méfiant des raffinements du beau style et des poétiques désincarnées, se rapprochant plutôt des sciences humaines pour mettre au jour la trame de son temps – qui est aussi le nôtre. Un geste précurseur, trajectoire qui a ouvert dans le champ littéraire un véritable sillon que prolonge aujourd’hui le retour en force de l’autofiction et des écritures du Je.
Cette manière à la fois humble, exigeante et populaire d’entériner le présent collectif
Parmi les admirateurs et continuateurs, l’écrivain Jérôme Meizoz. En contact avec la Française depuis plus de 20 ans, il a trouvé en ce parcours de transfuge de quoi inspirer ses propres démarches d’écriture. «Je reconnais volontiers que sans elle, je n’aurais pas trouvé la manière dont je voulais m’exprimer en littérature. J’ai une grande gratitude pour l’attention qu’elle a bien voulu m’accorder», confesse le professeur de français à l’Université de Lausanne, dont la nobélisée a notamment préfacé Temps mort (2014). Interview.
En quoi l’œuvre d’Annie Ernaux est-elle marquante dans le paysage littéraire contemporain?
Jérôme Meizoz: Au fil du temps, son œuvre a su s’imposer à la fois par son ampleur et sa durée, mais aussi par son immense cohérence. Une œuvre marquée par ce choix, assez radical dans le champ littéraire français, de tourner le dos au roman dès son troisième ouvrage, ce dont Annie Ernaux s’est expliquée en disant sa volonté de développer une littérature qui ne soit pas d’imagination mais d’investigation, centrée sur le monde réel et sur l’expérience qu’elle en a faite.
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