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Science sous influence

Monsanto sait depuis longtemps que le Roundup présente des risques, estime la justice américaine


Sandrine Hochstrasser

Sandrine Hochstrasser

29 mars 2019 à 02:01

Procès » «Il est temps que l’entreprise indique sur ses bidons de Roundup que le glyphosate présente des risques de cancer», s’exclame l’avocate d’Edwin Hardeman, retraité américain atteint d’un lymphome. La Cour fédérale de district, à San Francisco, est du même avis. Elle a condamné mercredi Monsanto à payer plus de 80 millions de dollars de dommages et intérêts, car l’entreprise n’a jamais informé sa clientèle du risque qu’elle prenait en utilisant l’herbicide.

C’est le second jury américain qui arrive aux mêmes conclusions. Mais le verdict de mercredi est le premier au niveau fédéral, et il s’agit d’un procès «de référence» pour des centaines d’autres (réunis en un «litige multidistrict»). Au total, plus de 11 000 procédures sont en attente outre-Atlantique. Un troisième procès a d’ailleurs débuté hier en Californie. Bayer, qui a racheté Monsanto l’année dernière, va faire appel: son produit est sans danger, continue-t-il de marteler.

Des milliers de documents internes ont pourtant convaincu les jurés que l’entreprise connaissait les risques et n’a pas agi de bonne foi. Face à l’évaluation du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) par exemple, qui a classé en mars 2015 le glyphosate comme «probablement cancérogène pour l’homme». Monsanto s’est préparé des mois à l’avance à «réfuter et neutraliser la décision du CIRC», selon ses propres termes, par tous les moyens. Y compris en utilisant des scientifiques externes.

Ainsi, dans un mail de février 2015, William Heydens, scientifique de Monsanto, évoque la préparation d’une étude dont il propose de rédiger (ghostwrite) une partie. «Une option serait d’ajouter (comme auteurs) Greim et Kier ou Kirkland pour avoir leurs noms sur la publication, mais nous garderions les coûts bas si nous nous chargions nous-mêmes de l’écriture et ils n’auraient qu’à signer. Rappelle-toi, c’est ainsi que nous avons procédé avec Williams Kroes & Munro, en 2000.» Interrogé l’été dernier, l’auteur de ce mail explique qu’il s’agissait seulement de «brainstorming». «C’est apparu comme une possibilité. Ce n’est pas ce qui s’est passé.»

En 2016, une étude «indépendante» critiquant les conclusions du CIRC est publiée dans le Critical Reviews in Toxicology. Les auteurs indiquent alors n’avoir aucun lien direct avec Monsanto. Or des mails internes révèlent que deux des auteurs sont payés par Monsanto, et William Heydens a relu l’étude avant sa publication, faisant de «menues corrections». La revue et les auteurs se sont excusés l’automne passé.

Cet acharnement à neutraliser les critiques contre le glyphosate remonte à des décennies, a démontré l’accusation. En 1983 déjà, une étude américaine faisait le lien entre glyphosate et cancer chez des souris, éveillant la méfiance de l’agence réglementaire américaine. Monsanto a engagé un expert en 1985, «afin de persuader l’agence» que les tumeurs ne sont pas liées au glyphosate.

Les responsables de Monsanto affirment avoir seulement cherché à défendre «les meilleurs principes scientifiques». L’un de cadres indique que Monsanto a dépensé plus de 16 millions de dollars en 2016 pour «corriger les désinformations sur le glyphosate». Leurs explications n’ont pas convaincu les jurés.

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