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«Nier, c’est tuer une seconde fois»

Aujourd’hui se tiennent les Assises nationales de la lutte contre le négationnisme au Sénat français


 Sevan Pearson

Sevan Pearson

10 janvier 2020 à 02:01

Génocides » «Nier les génocides, c’est tuer une seconde fois les victimes.» Frédéric Encel a fait sienne cette affirmation. Ce docteur français en géopolitique, maître de conférences à Sciences Po Paris (auteur de Mon dictionnaire géopolitique, PUF, 2019), organise pour la dixième année consécutive des Assises nationales de la lutte contre le négationnisme. Seront présents des spécialistes des génocides arménien comme Franck Papazian, juif avec Serge Klarsfeld et tutsi rwandais avec Marcel Kabanda, des associations qui militent pour la mémoire et contre le racisme ainsi que des rescapés. Ce symposium, soutenu depuis deux ans par la Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme, se tient aujourd’hui dans la prestigieuse salle Médicis, au Sénat français. Entretien.

En quoi ces Assises nationales de la lutte contre le négationnisme sont-elles nécessaires?

Frédéric Encel: Il y a dix ans, j’ai constaté qu’il n’existait aucun colloque récurrent portant de manière universelle sur la négation des génocides. Après le succès des premières assises, j’ai souhaité rendre ce rendez-vous annuel. C’est important, car le négationnisme salit et blesse moralement les victimes et leurs descendants. En outre, il porte atteinte au vivre-ensemble. Parfois, il devient une véritable politique d’Etat, à l’exemple de la Turquie qui nie le génocide des Arméniens. Combattre le négationnisme, c’est malheureusement une lutte sans fin à laquelle tente de contribuer cet événement annuel.

Sous quelles formes le négationnisme se manifeste-t-il aujourd’hui?

Le négationnisme, c’est nier ou minimiser de manière outrancière un génocide. Il existe surtout deux techniques: inverser la charge de la preuve et minimiser les crimes commis. Ainsi, on exige des victimes qu’elles prouvent de manière «absolue» qu’elles ont subi un génocide. C’est impossible parce que tout fait, document ou témoignage attestant de la réalité génocidaire est immédiatement catalogué comme «faux» par les négationnistes, car tel est leur postulat. Parfois, la réalité d’un acte violent est reconnue, mais immédiatement minimisée ou contextualisée à outrance: «c’était la guerre», «il n’y eut que quelques centaines de milliers de victimes parmi bien d’autres», etc.

Comment définir un génocide?

Ce crime contre l’humanité est défini par la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948. Les historiens et les observateurs de bonne foi estiment qu’il y en a eu trois durant le XXe siècle: celui des Arméniens (1915-23), celui des Juifs (1941-45) et celui des Tutsi (1994). Mais la justice internationale considère également le massacre de 7000 hommes à Srebrenica en 1995 en Bosnie-Herzégovine comme un génocide. Le cas du Cambodge (1975-79) est en outre compliqué: l’ignoble régime khmer rouge a tué des millions de personnes, mais pas pour leur appartenance ethnique ou religieuse. Il est cependant indéniable que le Conseil de sécurité de l’ONU refuse parfois d’admettre un génocide en cours (sur les Rohingya, par exemple), un membre au moins mettant son veto afin de protéger son allié ou d’éviter d’avoir à intervenir! Les sempiternels rapports de force et autres intérêts politiques…

En légiférant sur le négationnisme, ne risque-t-on pas de porter atteinte à la liberté d’expression?

Non, pas du tout, les mots peuvent tuer! Laisser libre cours au négationnisme, c’est comme laisser le renard libre dans le poulailler… Certains historiens ne veulent pas que le monde politique légifère. Or, en démocratie, les députés représentent le peuple, et celui-ci attend que la haine, le racisme et donc aussi le négationnisme soient punissables.

Quel est l’arsenal juridique français contre le négationnisme?

La France dispose de la loi Gayssot de 1990. Elle interdit la négation de la Shoah et la punit. Malheureusement, elle n’a pas encore été étendue aux génocides des Arméniens et des Tutsi. De même, des tentatives d’élaborer un texte législatif spécifique au cas arménien ont échoué en raison de la censure du Conseil constitutionnel, ce que je déplore. Mais le combat continue!

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