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Famille, je vous ai

L’auteure lira son roman, D’oncle, aux rencontres Textures, qui ont lieu du 1er au 3 octobre à Fribourg

Rebecca Gisler mêle humour et tristesse pour raconter cet oncle, autour duquel tourne son premier roman.

 Tamara Bongard

Tamara Bongard

25 septembre 2021 à 04:01

Rebecca Gisler » Elle aurait pu écrire son premier roman en allemand, l’idiome de sa scolarité à Zurich et de ses études à l’institut littéraire de Bienne. Mais Rebecca Gisler lui a préféré le français. Une langue familiale et orale parlée uniquement à la maison, avec laquelle elle a imaginé une autre intimité, une autre famille. D’oncle raconte un intérieur tournant autour de ce parent englué dans une «adulescence» étrange, un type intrigant mais un peu dégoûtant aussi. Son neveu et sa nièce cohabitent avec cet être prenant beaucoup de place, cet homme attachant qu’on a pourtant envie de quitter.

L’auteure franco-suisse viendra le 3 octobre aux rencontres littéraires Textures, à Fribourg, pour présenter son ouvrage lors d’une lecture musicale. Nous avons pu la joindre par téléphone, alors qu’elle était justement en France. Elle fait depuis quelques semaines des allers-retours entre les deux pays pour accompagner la sortie de sa première fiction, forte, douce-amère et très bien accueillie. Interview de la trentenaire qui est également traductrice.

Pourquoi avoir écrit votre premier roman en français et non pas en allemand?

Rebecca Gisler: Le français était une langue où j’avais beaucoup moins de vocabulaire, que je pratiquais de manière peut-être plus naïve, ou plus intuitive. En intégrant le master de création littéraire à Paris VIII, après mes études à Bienne, j’ai commencé à lire davantage en français, à me plonger dans ce nouvel univers qui m’a permis de trouver une nouvelle langue. Cette recherche a abouti à mon premier texte, D’oncle. Paradoxalement, écrire en français, dans cette langue que je maîtrisais moins, m’a libérée: je me suis autorisé une approche plus poétique, des phrases longues, frisant parfois l’incorrection. Je ne cherchais pas à raconter une histoire, je ne cherchais pas une intrigue mais une expérience de la langue.

Ce vocabulaire «plus naïf», selon vos termes, a-t-il donné naissance à ce personnage d’oncle coincé dans l’adolescence?

Je crois que oui. Le personnage de l’oncle était déjà présent dans d’anciens textes écrits en allemand, mais c’est en me concentrant sur cette nouvelle langue d’écriture que l’oncle a grossi, qu’il a pris sa place. Le personnage m’a offert la langue et la langue m’a offert le personnage.

Votre roman distille à quantité égale humour et tristesse. Comment avez-vous choisi le dosage de ces ingrédients?

Mon idée était d’observer ce personnage dans son quotidien le plus banal: manger, aller aux toilettes, ses petites habitudes, ses lubies et ses rituels. Quand on regarde quelque chose de très près, en détail, elle devient absurde, bizarre. Ce mélange d’humour et de tristesse est pratiqué par un bon nombre d’autrices et d’auteurs que j’aime, qui ont un humour qu’on pourrait qualifier de gris. Cela dit, bien qu’on puisse penser que l’oncle est un personnage tragique, moi je le crois profondément joyeux, d’une joie venue de l’enfance.

Dans votre roman, vous faites aussi plusieurs fines observations sur la société suisse, avec un regard amusant et piquant.

Les neveux, qui sont nés en Suisse, ont une relation amour-haine avec leur pays natal, comme on peut en avoir avec sa famille. C’est à la fois un cocon et une prison et dans le cas de la Suisse, le cocon est particulièrement douillet. On a du mal à s’en dépêtrer et en même temps on se sent un peu coupable d’y vivre.

Avez-vous déjà traduit D’oncle en allemand?

Oui, je l’ai traduit et j’espère qu’il paraîtra bientôt en allemand.

Est-ce vraiment une traduction ou plutôt une réécriture?

Un peu des deux. Mais ce qui est sûr (et plaisant), c’est que l’autotraduction permet de se trahir sans scrupule et donc de renouveler et de prolonger sa pensée. Quand il s’agit du texte d’un autre, on a forcément l’impression de taper un peu à côté. Pour mieux me comprendre moi-même, je suis parfois obligée de me traduire. Les deux langues dialoguent dans ma tête.

Vous présentez votre roman sous la forme d’une lecture mise en musique avec le guitariste et chanteur Victor Rassov. Pourquoi ce choix?

Victor Rassov est musicien, mais il est aussi poète. Son premier livre, L’Oiseux, suivi d’Excrément précieux, vient de paraître aux Editions du Cadran Ligné. Ces deux pratiques se nourrissent mutuellement chez lui et nourrissent aussi notre lecture de D’oncle. Il va accompagner le texte parfois avec des bruits, parfois avec ses compositions, qui sont des morceaux de chansons brutes et fragiles.

Je trouve que la musique offre une nouvelle dimension au texte. Cette lecture, ce mélange de musique et texte, est pour moi une manière d’aller encore plus loin dans le livre, de le réécrire disons. C’est ça que je trouve beau. Cette mise en musique me permet de le travailler à nouveau avec un regard extérieur et précieux.

Etes-vous inquiète à l’idée de ne pas rédiger un aussi bon second roman?

Je ne me mets pas de pression. Je suis contente et surprise par la bonne réception de ce livre. C’est motivant. Et j’aime écrire, ce n’est en aucun cas une épreuve ou une angoisse pour moi. Pour mon second roman, que j’écrirai probablement aussi en français, j’ai des idées, je prends des notes et je lis beaucoup, en ce moment des livres de jeunes autrices très fortes, comme Grande Couronne de Salomé Kiner (elle sera aussi présente à Textures, ndlr) et La semaine perpétuelle de Laura Vazquez.

Rebecca Gisler, D’oncle, Ed. Verdier, 128 pp.

L’auteure sera présente à Fribourg le 3 octobre.

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