Critique. Pierrine Poget, tendrement effondrée
La poétesse genevoise éblouit par ce livre d’une inclassable splendeur, roman-poème du devenir «femme, mère, écrivain».
Partager
16 février 2024 à 19:05
Il faudrait dire ce qu’il s’y passe, or il ne se passe rien, ou si peu, et pourtant c’est dense, profond, somptueux. Tout de même, ce peu qui irradie: l’abus, la violence, la naissance, l’enfance qui grandit et s’en va, le devenir soi, le désir à neuf. Thèmes dont l’autofiction à la française, le poing serré sur la plume, a fait son étendard. Encore un livre qui…?
Non. Inachevée, vivante est une constellation sensible, un recueil comme une tentative de relier les fragments d’une subjectivité en recomposition. Et c’est aussi la confirmation que Pierrine Poget est l’une des poétesses majeures de sa génération.
Le jury du Prix Ramuz ne s’y était pas trompé, en 2016, saluant les Fondations posées par cette écrivaine genevoise née en 1982. Déjà ces courtes séquences narratives en équilibre sur le fil tendu, à travers les brumes de la mémoire, entre l’enfant et l’adulte. Déjà cette concision suggestive, cette quête d’unité dans la juxtaposition d’éclats. Puis il y eut Warda s'en va, Carnets du Caire, finaliste du Prix Médicis dans la catégorie Essai – car inclassable, ce voyage dans le voyage, journal comme l’empreinte laissée par la ville labyrinthique sur la trame de son acuité inquiète.
«Je tends les poignets»
Ce nouvel ouvrage, rétif lui aussi à toute assignation trop étroite, refuse à se désigner en roman, essai, récit ou poème. Car c’est tout à la fois. Inachevée, vivante, que l’autrice dédie à ses filles, s’ouvre sur un dépôt de plainte, avant de mettre à nu la mécanique de l’emprise et ces «heures cinglantes» dont le corps abuseur inscrit la durée dans la mémoire du corps abusé – acquiesçant pourtant. «J’exécute les gestes, les actes, je tends les poignets pour recevoir les liens, mais en moi-même je me donne la main, les yeux posés sur autrefois et sur demain, où je suis indemne et où il m’est possible d’avoir des pensées, où l’on ne m’a pas, où l’on ne me brûle plus le ventre avec une cigarette.»
Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus