La composition de l’image (datée de 1954) est équilibrée (deux tiers de terre et un de ciel) et harmonieusement structurée avec sa succession d’étagements. Graphiquement, l’image est constituée de 4 à 5 plans qui forment autant de couches de nuances de couleurs (deux fois une teinte claire ou foncée, puis une 5e et dernière fois panachée). On (res)sent malgré l’horizontalité des plans une nette impression de verticalité, de vision en 3D.

En Veveyse du Sud, à l’approche des moyennes Préalpes, les arêtes étirées du Mont-Chesau (premier plan), puis du Mont-Vuarat (deuxième plan) gonflent les plis du Moyen-Pays et rompent la douce ondulation propre à ce type de paysage.

Aux monts Chesau et Vuarat, on flirte avec les 1000 mètres d’altitude, à l’arrière, les Pléiades et Corbettaz dépassent les 1350 m et la chaîne de pics qui ferme l’horizon ondule entre 1800 et 2000 mètres (Moléson, Teysachaux et Dent-de-Lys). A l’intérieur de cet océan de verdure, les masses noires des forêts l’emportent, délimitent le paysage et le façonnent. La vue a été prise peu au-dessus de la buvette d’alpage du Mont-Chesau, quasi à sa verticale, d’où l’effet augmenté de plongée vers la «trouée» d’Attalens, ce fond de cuvette caréné par une diffluence du glacier du Rhône et dont il ne subsiste que le cours de la Biorde. A côté du territoire façonné par la nature et par l’homme, le territoire vécu (travailler et/ou habiter) est au centre de l’image. C’est le village d’Attalens que le photographe-aviateur a voulu donner à voir. Au centre, on reconnaît l’église (construite en 1860), sur la droite le château (fin XIIe-début XIIIe siècle) et le groupe des maisons du front sud du village (et au-dessus le quartier de La Jaqua).

Au nord, le hameau de Corcelles se détache encore nettement, et, tout à gauche à l’arrière, on repère le hameau de Vuarat. C’est le génie propre du lieu: un village central et deux hameaux satellites, proches et plus lointains, le tout servi sur un large plateau, bien orienté et en pente douce, à la charnière du Plateau et de la Riviera lémanique. Un lieu d’exception!

En 2014, Attalens et Corcelles ont fusionné mais sans votation. «Victime» consentante de sa position géotopographique, pris dans l’orbite conjuguée de Vevey et de Lausanne, le village s’est agrandi en tous sens, presque sans fin. Attalens (1023 habitants en 1960, 1806 en 1990) est de nos jours un gros village à têtes multiples. Pâturages et forêts étaient les deux mamelles du Pays de Fribourg. Jusque dans les années 70, cette image agropastorale lui collait au bredzon. Dans l’intervalle, une autre paire, un couple (d)étonnant, bétonnage et mitage, est venue se glisser dans le costume fétiche des Dzodzets. Sur la verte et vaste poya cantonale, le gris des hétéroclites villas individuelles et des locatifs compacts est venu moucheter les traditionnelles nuances de vert d’un chapelet de taches gris-blanc. Attachée à son image de bourg rural du Sud fribourgeois, Attalens est désormais une tranche, décalée, de la banlieue du Grand-Vevey. I

* archéologue du territoire (originaire d’Attalens) et chargé de cours à l’EIA-FR

> Cette série est réalisée en partenariat avec la Bibliothèque cantonale et universitaire de Fribourg (BCU), qui a puisé dans ses collections les photos anciennes publiées ici. Une partie des fonds photographiques de la BCU (env. 20000 images) est accessible sur le site: www.fr.ch/bcu/n/photos