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Canton

«Nous avons le couteau sous la gorge»

Cofondateur de LaRevueDurable, Jacques Mirenowicz se soucie du climat depuis près de 20 ans

Jacques Mirenowicz, fondateur de la Revue Durable Photo Lib / Charly Rappo, Fribourg, 27.02.2019Charly Rappo

 François Mauron

François Mauron

15 mars 2019 à 02:01

Fribourg » Jacques Mirenowicz est un homme inquiet. «Le réchauffement climatique est alarmant. Cela va de mal en pis, nous avons le couteau sous la gorge, mais une majorité de personnes ne le comprend toujours pas. Le public n’arrive pas à croire que le désastre qu’on lui prédit soit possible tellement il est sans précédent et paraît trop gros.»

Aucune acrimonie dans la voix de cet habitant de la capitale cantonale. Mais le ton est grave. Il faut dire que le thème du réchauffement, il connaît. Pour l’avoir ausculté sous toutes ses coutures, depuis longtemps. Plus longtemps que la plupart des autres observateurs à s’y intéresser. En effet, c’est en 2002 déjà que Jacques Mirenowicz a lancé à Fribourg, conjointement avec son épouse Susana Jourdan, LaRevueDurable, un magazine consacré exclusivement à l’écologie.

«Cette question commençait alors à monter en puissance, mais les médias ne s’en étaient pas encore emparés. Notre ambition, c’était de mettre cette thématique sur le devant de la scène, de façon continue», souligne-t-il.

Région parisienne

Rien ne prédisposait Jacques Mirenowicz, aujourd’hui âgé de 57 ans, à faire son nid dans la cité des Zaehringen. Né dans la région parisienne, où il a grandi, le Français, après quatre ans d’études à Paris, débarque en 1991 à l’Université de Fribourg, qui l’a engagé comme assistant-doctorant à l’Institut de physiologie. Intellectuel pur sucre, il y rédigera une thèse de doctorat en neurosciences. Ce destin scientifique, à la base, n’avait pourtant rien d’une évidence. A l’adolescence, Jacques Mirenowicz a passé quatre ans de son cursus scolaire à Birmingham, en Grande-Bretagne, où il a été envoyé par sa famille «parce que j’étais mauvais élève». Il garde de ce séjour quelques souvenirs typiquement britanniques, comme un match de football épique entre Aston Villa et Tottenham Hotspur à la fin des années 1970. L’équipe visiteuse l’avait emporté au final, et le train évacuant les fans des Spurs avait été salué de gestes obscènes et souillé de crachats en rafales des supporters locaux.

Mais le ballon rond ne fait plus partie des préoccupations du Fribourgeois d’adoption. Ni la vie académique, à laquelle il a tourné le dos en 1996 pour finir par mettre sa plume au service de l’écologie, quand bien même «j’aurais rêvé d’être chercheur, cela m’aurait bien correspondu». Seulement voilà. Jacques Mirenowicz se pose depuis longtemps des questions sur «l’orientation des recherches et l’impact du développement des sciences sur la société». L’environnement est bientôt au cœur de ses préoccupations. Avec Susana Jourdan, une Suisso-Colombienne rencontrée en 1993 dans les travées de l’Alma mater fribourgeoise, ils lancent donc LaRevueDurable au moment du Sommet de la Terre de Johannesburg, en juin 2002.

«J’avais alors encore une grande foi en l’information. Je pensais qu’elle allait ouvrir les yeux du public», lâche-t-il.

Le pic de 2008

Faire vivre LaRevueDurable n’est cependant pas facile. Il faut dire que le magazine – qui bénéficie de soutiens financiers pour équilibrer ses comptes – s’adresse à des lecteurs avertis. Le lectorat progresse doucement, puis fait un énorme bond durant les années 2006 et 2007. L’année suivante, le périodique compte plus de 5000 abonnés, principalement en Suisse romande et en France. Mais les crises des subprimes et du franc fort, ainsi que l’échec de la Conférence de Copenhague de 2009 sur les changements climatiques vont lui porter préjudice. De nos jours, le nombre d’abonnés a ainsi chuté à moins de 3000.

«Internet a pris le pouvoir, et les gens lisent moins qu’autrefois. En outre, l’offre en écologie s’est considérablement développée dans les médias conventionnels. Or LaRevueDurable est exigeante. De plus, nous n’avons plus investi dans sa promotion depuis 2009», analyse Jacques Mirenowicz.

Le miracle Greta

«Mais le plus grave est que la politique est de plus en plus en décalage avec les faits», poursuit ce dernier. C’est pourquoi – sans avoir du tout cette fibre au départ – il va progressivement s’engager politiquement pour défendre sa cause. En 2008, il entame avec des pairs un bras de fer avec Groupe E pour empêcher l’énergéticien fribourgeois d’investir dans la construction d’une centrale à charbon en Allemagne. Ce combat sera mené avec succès. Puis, il y a trois ans, est fondée l’association Artisans de la transition qui, outre la poursuite de travaux d’écriture (LaRevueDurable, différents rapports, une newsletter), soutient la campagne de désinvestissement de l’industrie des énergies fossiles et diffuse une méthode, les «Conversations carbone», pour que tout un chacun puisse diminuer son empreinte carbone. «Cela marche très bien, notamment à Fribourg», se réjouit-il.

Père de deux enfants, Lucie, 10 ans, et Paul, 8 ans, Jacques Mirenowicz a été atterré par la décision du Conseil national de refuser la loi sur le CO2 en décembre dernier. Dans ce contexte, il voit l’apparition, sur le devant de la scène médiatique, de la militante suédoise pour le climat Greta Thunberg comme un petit miracle. «Son discours a trouvé écho auprès des jeunes, notamment en Suisse. Ils exercent une pression sur les autorités, se mobilisent comme ce vendredi à Fribourg et dans tout le pays. Ce sursaut inattendu fait souffler un petit vent d’espoir, à condition que ses protagonistes ne s’essoufflent pas et renforcent au contraire leurs actions», fait-il remarquer.

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