Une vie de château pour un ex-cadre
Le Tribunal pénal fédéral doit juger un scandale de corruption qui avait touché le Seco pendant des années
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Ariane Gigon
2 août 2021 à 04:01
Procès » Un ancien cadre du Seco doit comparaître dès ce matin devant le Tribunal pénal fédéral (TPF) de Bellinzone pour un des plus graves cas de corruption ayant touché une administration publique en Suisse. De 2004 à 2014 au moins, en échange de commandes de matériel informatique, il a encaissé pour environ 1,8 million de cadeaux en tous genres. Trois autres prévenus doivent répondre, notamment, de corruption passive.
Les faits avaient été révélés par le Tages-Anzeiger début 2014. Le principal prévenu, qui aura 69 ans à la fin du mois, était entré en 1993 à ce qui était encore l’Ofiamt, et qui allait devenir le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), où il était devenu «chef de secteur du centre de prestations Marché du travail/Assurance-chômage». Entre 2004 et 2014, années retenues par le Ministère public de la Confédération (MPC), il a «constamment violé le droit d’acquisition et les directives internes» pour l’achat de matériel informatique, explique le MPC. Malgré une procédure pénale ouverte en 2005, finalement classée, l’homme a continué à privilégier une dizaine d’entreprises qui, en retour, lui ont fourni de nombreux cadeaux et enveloppes (lire ci-dessous).
Au total, dix personnes ont été accusées dans cette affaire. Trois entrepreneurs et une fiduciaire ont déjà été condamnés par ordonnance pénale, en 2019, à des peines avec sursis de 100 à 180 jours-amendes et à des amendes de 1000 à 1500 francs. La procédure a été en revanche classée pour deux autres personnes (un entrepreneur et son conseiller). Des peines jugées trop basses par Martin Hilti, directeur de la section suisse de Transparency International, organisation qui se dévoue à la lutte contre la corruption.
Savez-vous pourquoi le Seco n’a, apparemment, rien entrepris pour stopper son cadre?
Martin Hilti: Il y avait manifestement, depuis longtemps, des indices montrant le comportement fautif de cette personne. L’hypothèse selon laquelle les responsables hiérarchiques n’ont pas assumé leurs responsabilités est donc assez naturelle. Cela ne serait malheureusement pas un cas isolé. Nous observons en effet toujours, dans les cas où la corruption est mise à jour, que l’entourage savait depuis longtemps que quelque chose n’était pas correct. Mais qu’on laissait faire.
Vous aviez critiqué les verdicts de 2019, trop cléments, selon vous. Est-ce que d’autres cas ont été jugés, depuis, dans d’autres affaires?
Effectivement, les premiers verdicts adoptés par ordonnance pénale ont été pour le moins indulgents. C’était très étonnant, étant donné la corruption massive et les sommes en jeu.
Il est très difficile de démasquer la corruption. Les statistiques comportent donc une grande zone d’ombre. Seuls une minorité de cas deviennent publics et, de ceux-là, une minorité, à nouveau, font l’objet d’un procès et d’une condamnation. Ces derniers mois, aucun cas ayant l’importance du scandale du Seco n’a été porté en justice.
Après cette affaire, le Seco a-t-il, à vos yeux, réagi correctement et s’est-il doté des instruments nécessaires pour lutter contre les risques de corruption?
Dans de nombreux domaines, l’Administration fédérale dispose d’instruments utiles pour lutter contre la corruption. Encore faut-il les utiliser. Des mesures organisationnelles sont nécessaires et, comme déjà mentionné, il faut que la hiérarchie prenne ses responsabilités. Il semble qu’ici, le potentiel d’amélioration soit important dans de nombreuses unités de l’administration.
En outre, la Suisse manque encore et toujours d’instruments importants pour lutter contre la corruption: des délais de carence obligatoire devraient être fixés lorsque des hauts cadres de l’administration passent dans l’économie privée, dans les cas où, par ces transferts, des intérêts publics pourraient être concernés. Le Conseil fédéral n’a malheureusement pas l’air de vouloir empoigner ce dossier. La stratégie anticorruption qu’il a adoptée l’an dernier est extrêmement modeste.
Le Contrôle fédéral des finances s’est doté en 2011 d’une plateforme permettant les annonces, même anonymes, de cas douteux. Est-ce que cela aide aussi à lutter contre la corruption?
Les cas sont effectivement souvent révélés par des souffleuses ou souffleurs d’alerte. Mais malheureusement, la loi ne les protège pas suffisamment, surtout dans le domaine privé, mais aussi dans de nombreux cantons. Une plateforme d’annonce, comme celle du CDF, grâce à laquelle les personnes peuvent annoncer des irrégularités, est un outil indispensable.
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