Campagne électorale » Les fêtes sont propices aux rassemblements, surtout quand elles précèdent une année électorale. Hier à Berne, les principales associations faîtières économiques du pays ont communié avec l’Union suisse des paysans (USP). Sous la bannière de Perspective Suisse, elles ont lancé leur campagne à grand renfort de chiffres et de slogans.
Des chiffres, donc: l’économie et l’agriculture emploient plus de 4,5 millions de personnes et proposent chaque année à plus de 170 000 jeunes une formation professionnelle. Des slogans, aussi: «Stabilité et sécurité pour tous» ou «Une agriculture de pointe, gage de sécurité alimentaire». Et enfin, une injonction: «Votez en faveur de l’économie et de l’agriculture». Traduction: «Ne votez surtout pas pour les Verts ou les socialistes».
Des passifs profonds
L’image est belle, mais certains semblent avoir la mémoire courte. Ou du moins sélective. Car derrière cette union de l’Epiphanie se cachent des passifs profonds. Il y a d’abord l’Usam (Union suisse des arts et métiers) et Economiesuisse, qui ne pouvaient pas se voir en photo il n’y a pas si longtemps. A l’été 2020, lors de la campagne sur l’initiative pour des multinationales responsables, le directeur de l’USP Hans-Ulrich Bigler taclait à la gorge son homologue d’Economiesuisse Monika Rühl, l’accusant d’être déconnectée de la réalité et de ne défendre que les multinationales. Il qualifiait de «friche» la solidarité entre faîtières.
Il y a aussi les innombrables conflits qui s’ouvrent et se ferment au fil de l’actualité entre les milieux économiques et l’USP. Des brouilles propres à deux univers aux idéologies parfois lointaines. En substance, le premier défend le libéralisme et le libre-échange. Le deuxième dépend des aides étatiques à l’agriculture et se montre plutôt protectionniste.
Un clash de deux mondes qui a souvent éclaté. Par exemple, dès qu’un milieu économique ou libéral ose proposer une réforme de la politique agricole, comme ce fut régulièrement le cas depuis 20 ans. Ou quand le ministre de l’Economie d’alors, Johann Schneider-Ammann, se dit prêt à réduire la protection douanière et à intensifier des accords de libre-échange. En 2019, l’arrivée du vigneron Guy Parmelin au Conseil fédéral à la place du PLR bernois a semble-t-il apaisé la situation.
Petits arrangements
Si bien que récemment, ce sont les petits arrangements qui ont pris le dessus. Notamment en 2021, quand la droite économique participait à l’enfouissement de la nouvelle politique agricole de la Confédération et que l’agriculture renonçait à soutenir l’initiative pour des multinationales responsables. La même année, les milieux économiques travaillaient en sous-main contre les initiatives agricoles.
Pour Cristina Gaggini, directrice romande d’Economiesuisse, «nous avons constaté qu’il faut travailler ensemble encore davantage». Pour elle, ce qui lie tout ce beau monde, c’est le besoin de compétitivité, «qu’il ne faut surtout pas toucher», bien que des points de friction demeurent. Nul doute que ceux-ci reviendront sur la table mais pour l’union du jour, le plus tard sera le mieux.
Dès lors, tout indique que l’USP et les faîtières économiques vont se serrer les coudes. Les agriculteurs peuvent compter sur la droite économique, qui laissera au frigo l’idée d’interroger les paiements directs ou la protection douanière. Les milieux économiques pourront compter sur le poids politique des paysans. Bien que la branche n’atteigne même pas 1% du PIB suisse, elle compte toujours une grosse trentaine de voix sous la Coupole. Bonus: la sympathie que la population suisse lui voue et son importance dans l’imaginaire collectif helvétique.
Paysans pas à l’unisson
Reste que l’USP, ce ne sont pas tous les agriculteurs. A Genève, Willy Cretegny avait lancé le référendum contre l’accord de libre-échange avec l’Indonésie en 2021. Quand il voit la communication du jour, il peste: «Cette alliance entre l’économie et l’USP est bien sûr paradoxale, mais elle ne me surprend pas. Cela fait un moment que l’USP manque de réflexion d’ensemble et se limite à défendre d’un côté les paiements directs et de l’autre l’accès libre au marché pour l’achat de tracteurs, de machines ou de produits phytosanitaires.»
Pour le vigneron bio, la base paysanne du pays n’a cure de cette union «de politiciens déconnectés de la réalité de l’agriculture en Suisse». Il dénonce: «Les paysans sont découragés car cela fait des années qu’ils ont l’impression d’être un élément du jeu politique, pas plus. Pour que les agriculteurs soient motivés, il faut parler de l’avenir de la branche, mais surtout de son sens, qui est de produire pour assurer un taux suffisant d’auto-approvisionnement. Or avec le système de paiements directs combiné à du libre-échange, c’est tout l’inverse qui est fait.»
Le présent texte a été modifié à la date du 10 janvier 2023