Logo

Suisse

L’initiative antiburqa se fait bâcher

Le Conseil national a rejeté nettement hier l’initiative populaire qui veut interdire le port du voile intégral


 Philippe Castella

Philippe Castella

18 juin 2020 à 04:01

Parlement » Débattre du voile intégral alors que fleurissent dans les rues les masques hygiéniques avait quelque chose de cocasse hier au Conseil national. Si la crise sanitaire s’est invitée une fois de plus dans le débat, tel un virus dans une fête de contemporains, elle ne l’a guère influencée. Il faut dire que le texte de l’initiative populaire antiburqa, qui vise une interdiction de dissimuler son visage dans l’espace public, prévoit explicitement une exception pour les masques hygiéniques.

Au vote, l’initiative a néanmoins été clairement repoussée (par 114 voix contre 76 et 3 abstentions). Elle a obtenu le soutien de l’UDC et d’une majorité du groupe du centre. Elle n’a reçu en revanche aucune voix à gauche. On se souvient pourtant que l’an dernier au Conseil des Etats, la socialiste vaudoise Géraldine Savary avait affiché son soutien féministe à l’initiative contre ce symbole de domination patriarcale qu’est le voile intégral, tout en désapprouvant l’agenda des initiants. Une fois franchie l’étape du vote final des Chambres demain, l’initiative sera prête à être soumise au peuple en novembre ou l’an prochain.

La lacune des mascottes

Pour rappel, l’initiative veut une interdiction de la burqa (voile bleu afghan muni d’un grillage) et du niqab (voile noir arabe ne laissant qu’une fente pour les yeux), mais pas du hijab (foulard islamique qui couvre les cheveux et le cou). Elle vise aussi à interdire masques ou cagoules aux hooligans dans le sport, aux casseurs lors de manifestations, voire aux braqueurs de banque, même si ces derniers continueront à avoir d’autres raisons de craindre les foudres de la justice.

Outre les masques hygiéniques, le texte prévoit des exceptions pour des raisons de sécurité (casques de motards), climatiques (cagoules en hiver) ou de coutumes locales (carnaval). Il n’en prévoit pas en revanche pour les touristes venues du Golfe et, plus surprenant, pas non plus pour les mascottes sportives ou publicitaires, a relevé le rapporteur de la commission Damien Cottier (plr, NE). Exit donc en principe en cas de oui le dragon de Gottéron ou le bonhomme Michelin.

Outre cette étrange lacune, le libéral-radical neuchâtelois a avancé d’abord un argument philosophique contre l’initiative: «Une société libérale est forte quand elle convainc et non quand elle contraint.» Il y a ajouté un argument pénal: les femmes qui seraient forcées à porter le voile peuvent déjà activer la justice en invoquant la contrainte.

Au Tessin et à Saint-Gall

Et en dernier, Damien Cottier a évoqué l’argument du fédéralisme. L’initiative empiète là sur une compétence cantonale. De nombreux cantons ont déjà légiféré pour interdire de masquer son visage lors de manifestations sportives ou politiques. Deux cantons ont déjà interdit le port du voile intégral en public (Tessin et Saint-Gall). Et d’autres y ont renoncé à l’issue d’un vote parlementaire ou populaire (ZH, SO, SZ, BS, GL).

Pour Ada Marra (ps, VD), cette initiative est «islamophobe» et «populiste»: «Je voterai non car je ne tomberai pas dans le piège de traiter les progressistes d’islamophobes et les conservateurs de féministes.» Selon Isabelle Pasquier-Eichenberger (verts, GE), «cette initiative, dont le comité est coprésidé uniquement par des hommes, instrumentalise la cause des femmes et diabolise une communauté». Et pour Susanne Vincenz-Stauffacher, «c’est une pseudo-solution à un problème qui n’existe pas», la libérale-radicale saint-galloise soulignant que dans son canton, l’interdiction n’avait pas débouché encore sur une seule condamnation.

Les voiles arrachés

Dans le camp du oui, Barbara Steinemann (udc, ZH) a aussi affiché son féminisme pour rappeler une anecdote historique: «Lorsque la ville syrienne de Manbij a été libérée de l’Etat islamique en août 2016, les femmes ont arraché le voile de leur visage et fait un feu de joie.» La démocrate-chrétienne Marianne Binder-Keller (AG) en tire la conséquence: «C’est un vêtement qui sert à opprimer les femmes et non pas une expression de la liberté religieuse.»

Bien plus tranché dans son argumentation, Jean-Luc Addor (udc, VS) lâche: «Engagés dans ce qu’il faut bien appeler une guerre des civilisations, nous sommes en état de légitime défense contre l’islamisation de l’Europe et de notre pays en particulier.»

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus