«Le loup reste protégé»
La conseillère fédérale Simonetta Sommaruga défend la facilitation de l’abattage du prédateur
Les troupeaux sur les pâturages d’altitude sont-ils mieux protégés par la présence de bergers, de chiens et de clôtures, ou par le tir de davantage de prédateurs?
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Romain Carrupt
17 septembre 2020 à 04:01
Votation » «Le loup est un animal très malin qui se sent hyperprotégé. Les mesures de protection à son encontre sont saturées. Si on ne change rien, de plus en plus de collègues vont tout arrêter.» La cohabitation avec le loup est toujours aussi difficile en Valais pour des éleveurs comme Olivier Sarrasin, à Orsières. Le prédateur a jusqu’ici tué 200 des 40 000 moutons et chèvres alpés cet été en Valais. Selon l’Etat du Valais, «le canton a perdu 30 alpages à moutons en dix ans. L’année prochaine, dix autres ne seront plus exploités en raison de la pression du loup.» Mais aussi d’une protection des troupeaux perfectible? Enquête.
Premier constat chiffré: les loups sont toujours plus présents en Suisse. En 2019, la fondation Kora, chargée du monitoring des grands prédateurs, en a identifié 77, contre seulement deux lors de leur réapparition en 1995. Et alors que la Suisse n’a observé aucune meute avant 2012, le pays en compte aujourd’hui huit. En Valais, le nombre a quasiment triplé de 2018 à 2019. De quoi engendrer une hausse du nombre de victimes? Les chiffres officiels ne montrent pas une telle corrélation. En effet, les 29 loups de 2019 ont tué 100 moutons de moins que les dix loups de 2018. Et même 50 de moins que les seuls trois spécimens de 2000.
Pour Isabelle Germanier, responsable romande du Groupe Loup Suisse, «le nombre de victimes dépend surtout du niveau de protection des troupeaux». La défenseuse du canidé se fonde sur les statistiques annuelles du Service valaisan de la chasse. Il en ressort que 87% des animaux de rente tués en 2019 n’étaient pas protégés. Cette proportion est identique à la moyenne suisse, mais varie fortement d’une année à l’autre. En 2018, 38% des moutons croqués étaient considérés par le canton comme non protégés. Contre 36% de protégés. Et 26% de non protégeables. Le canton considère en effet que 60% des 164 pâturages ovins de son territoire ne sont pas raisonnablement protégeables. Les raisons sont multiples: des conditions topographiques qui ne permettent pas d’installer des clôtures au trop grand risque de conflits entre chien de protection et randonneurs, en passant par un trop faible nombre de moutons pour justifier le salaire d’un berger.
Cette classification n’est cependant pas celle de la Confédération et des tribunaux, qui se basent plutôt sur une étude Agridea de 2014 pour retenir 25% d’alpages non protégeables et 60% de protégeables, moyennant des adaptations structurelles. «C’est facile à écrire, la réalité du terrain est plus complexe», critique Moritz Schwery. Le responsable valaisan de la protection des troupeaux regrette l’importance accordée à un rapport «qui n’a pas approfondi la question de la protection des troupeaux».
Chargé d’affaires à Pro Natura Valais, le député vert Jérémy Savioz s’étonne que «le canton contredise une étude qu’il a lui-même mandatée, sans en avancer une nouvelle. C’est visiblement plus facile de prétendre que l’alpage n’est pas protégeable pour autoriser des tirs que d’admettre qu’un renforcement de la protection des troupeaux est possible, moyennant certains efforts».
Un autre constat met, lui, tout le monde d’accord. Et il est vécu très injustement par les éleveurs: les bons élèves peuvent aussi subir des attaques. Véronique et Sébastien Granger le savent mieux que personne. L’an dernier, ces agriculteurs de Val-d’Illiez se sont fait croquer 26 moutons qui étaient protégés. «Nous avons subi trois attaques en un mois, malgré les clôtures électrifiées et la présence permanente de deux bergers.» Ils s’agacent: «Malheureusement, le loup s’adapte à tout.»
Ce constat force certains éleveurs à s’adapter, eux aussi. Mais ils restent minoritaires. Selon les données des paiements directs, quelque 60% des alpages valaisans continuent à ne pas être clôturés et/ou surveillés par un berger et/ou un chien. Les trois quarts de ces types d’alpages ovins se situent dans le Haut-Valais.
Christine Cavalera accompagne les éleveurs francophones dans la protection de leurs troupeaux. Au-delà des chiffres, qu’elle relativise elle aussi, la biologiste mandatée par le canton observe une tendance positive, surtout dans le Valais romand. «Il y a de moins en moins d’agriculteurs, peut-être vieille école, qui laissent seuls leurs moutons tout l’été. La branche se professionnalise.» A l’échelle de la Suisse, un tournant a été constaté en 2015. Un alpage sur deux est désormais surveillé par un berger, alors que ce n’était le cas que d’un sur cinq en 2003, comme le montre le rapport agricole de la Confédération.
Les contributions d’estivage encouragent les éleveurs à protéger leurs troupeaux. Les montants versés par la Confédération récompensent en effet le modèle avec berger par le paiement d’une subvention de 68 francs, pour 100 jours et par mouton, dans les alpages gardiennés. Contre 56 francs dans les alpages clôturés. Et 20 francs dans les alpages non protégés.
«Avec ces indemnités, l’engagement d’un berger pour l’été n’est finançable qu’à partir de 300 moutons», contextualise Christine Cavalera. «C’est ce qui explique que les alpages haut-valaisans, de plus petite taille, sont moins gardiennés que ceux du Valais romand et de la Suisse dans son ensemble.»
Les chiens de protection, présents dans 25 des 164 alpages valaisans, représentent une nouvelle source d’occupation pour des éleveurs aux journées déjà longues. «On a ces chiens sur les bras toute l’année», insiste Véronique Granger. «Ça demande du public relation avec les voisins pour éviter les problèmes. Un de nos enfants en a aussi très peur.»
Les éleveurs doivent aussi gérer l’agressivité des chiens de protection vis-à-vis des randonneurs. Depuis 2017, les patous de Suisse pincent ou mordent une quinzaine d’humains par an, ainsi que quelques chiens domestiques. Ils fichent aussi une peur bleue à de nombreux promeneurs.
Le Groupe Loup Suisse dit avoir conscience des difficultés à faire cohabiter tourisme et patous. «Il faudrait créer un statut spécial pour les chiens de protection, parce qu’il n’est pas juste que les éleveurs doivent répondre devant la justice en cas d’incident», convient Isabelle Germanier.
Isabelle Germanier préconise de recourir à des bergers, en plus des chiens et des clôtures électrifiées. «Une présence humaine préviendrait certainement beaucoup d’attaques de patous.» Christine Cavalera, de la protection des troupeaux, reconnaît aussi les vertus des bergers bien formés. «Ils sont même indispensables en présence de chiens, car miser sur des patous sans bergers, c’est jouer avec le feu.» Pour Isabelle Germanier, la présence de bergers assurerait par ailleurs une meilleure prise en charge des ovins et éviterait quelques pertes.
C’est pourquoi le Groupe Loup Suisse planche sur un programme visant à faciliter le recours à des bergers. Les modalités ne sont pas encore connues, contrairement à l’objectif qui est d’éviter un maximum d’attaques, sans pour autant tirer préventivement sur le loup comme le propose la nouvelle loi. «Ce que veulent vraiment les agriculteurs, c’est ne pas perdre de bêtes. Même s’ils sont indemnisés pour les pertes, je partage leur désarroi et leur colère, quand ils pleurent la mort de moutons qu’ils ont protégés», soutient Isabelle Germanier.
Evidemment, l’éleveuse Véronique Granger acquiesce. «Même si nos moutons sont destinés à la boucherie, les attaques ressemblent à des scènes d’horreur. C’est tout sauf drôle que de découvrir des bêtes dépecées, agonisantes ou croquées, mais pas mangées. J’invite ceux qui pensent le contraire à venir m’aider à récolter les bouts de cadavres.»
L’éleveur Sébastien Granger ajoute que l’indemnisation de la Confédération (80%) et du canton (20%) ne couvre pas tout. «On est indemnisé pour la perte d’animaux retrouvés morts, mais pas pour ceux qui manquent à l’appel ou pour les dégâts collatéraux. Or les animaux qui survivent sont souvent choqués. Ils peuvent devenir stériles, faire des fausses couches, rester chétifs et donc produire moins de viande.»
L’Office fédéral de l’environnement se défend de sous-indemniser les pertes de moutons. «Le montant moyen de 380 francs par mouton tué correspond environ au double de la valeur marchande de la viande.» L’affirmation fait bondir Sébastien Granger: «Les agneaux et les brebis comme les nôtres se vendent entre 250 et 400 francs, pas 190 francs.»
«On peut calculer comme on veut, augmenter les indemnités, ça n’empêchera pas les attaques», recadre Christine Cavalera. Pour celle qui siège au sein du comité valaisan pour le oui à la nouvelle loi sur la chasse, «la solution passe à la fois par une régulation du loup et un renforcement des mesures de protection des troupeaux». Alors que pour les détracteurs de la réforme, la deuxième mesure suffirait. C’est entre ces deux visions bien différentes de la place des animaux dans l’écosystème et l’économie que le peuple tranchera le 27 septembre.
Le NouveLliste
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