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Suisse

Linguisme. Une application participative pour documenter le parler romand

Pour peaufiner le registre des vocables variés parlés en Suisse romande, une application participative sonde depuis lundi la population depuis Neuchâtel. Raisinet ou groseille?

Derrière l’application «Dis Voir!» il y a le dialectologue Mathieu Avanzi, de l'Université de Neuchâtel.
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Alain Meyer

Alain Meyer

14 octobre 2024 à 22:53, mis à jour le 15 octobre 2024 à 08:55

Temps de lecture : 3 min

Souvent raillés lors de jeux radiophoniques, les expressions et accents propres à la Romandie font désormais l’objet d’un traitement à la fois scientifique et rafraîchissant à l’Université de Neuchâtel (UNINE). Depuis lundi, une application scindée en plusieurs volets est disponible gratuitement sur Apple Store et Play Store. Son objectif: enrichir et documenter une palette déjà fournie de mots et accents bien de chez nous. D’en refléter également toute la diversité en fonction des régions.

Professeur à la chaire de dialectologie et d’étude du français régional d’UNINE, le linguiste Mathieu Avanzi évoque ici «une vulgarisation» des recherches. «En contribuant à la richesse des variations régionales du français en Suisse romande, les utilisateurs apprendront aussi des informations intéressantes sur les phénomènes linguistiques», promet-il.

Deviner mots et accents

Sa plongée dans les méandres des parlers d’ici le conduit à inviter les Romands à s’exprimer et à s’impliquer en léguant des traces sonores. Mais il n’est pas interdit de jouer avec ces mots et leurs origines sur cette application pour smartphone du nom de Dis voir. Celle-ci permet de capter et collecter des mots, accents et expressions qui auraient jusqu’à présent échappé à la perspicacité des universitaires. Un peu comme si l’alma mater allait à la pêche aux régionalismes.

Apparaissent sur l’écran de l’application des images et des situations données que les utilisateurs doivent décrire avec leur vocabulaire et avé l’accent, sans trop en rajouter non plus. Par exemple une chaudière à thé, un calendrier, des bottes dans la pètche (comprenez dans la gadoue). Ces témoignages sonores sont enregistrés et pourront s’insérer au fil du temps et selon leur pertinence dans le grand registre des parlers romands.

Plus amusante encore est l’application appelée Môôtüs, inspirée du jeu télévisé Motus. Ce volet-là incite les participants à deviner sur une grille un mot typiquement romand. Dernière proposition, le volet Ecoute voir suggère quant à lui d’identifier à partir d’extraits sonores l’origine géographique de locuteurs, testant ainsi les connaissances des mots et accents prononcés. «Nos étudiants les ont enregistrés lors d’ateliers», précise Mathieu Avanzi, évoquant «un test pour l’oreille des Romands».

Science et société

Venu de Chambéry, en France voisine, il s’extasie de l’abondance des vocabulaires et locutions employés de ce côté-ci de la frontière. «Il n’y a pas seulement raisinet versus groseille ou huitante versus quatre-vingts, mais aussi beaucoup de mots nourris au fil des siècles par l’allemand, les patois, le vieux français, etc.» Il se surprend lui-même à discerner une légère différence au détour de conversations entre l’accent du Haut et celui du Bas du canton de Neuchâtel. «Inimaginable en France sur une si courte distance», analyse-t-il.

Mathieu Avanzi
« Des différences d’accents qui sont inimaginables en France sur une si courte distance »
Mathieu Avanzi

Interactive, didactique et ludique, cette application a pour mission de rapprocher aussi le monde scientifique de la société, et vice versa. Principal bailleur de ce projet supposé durer jusqu’en octobre 2025 et doté d’environ 150 000 francs, le Fonds national suisse (FNS) mise beaucoup sur le dialogue entre public et chercheurs au travers de son programme AGORA. Pour l’application Dis voir, l’aventure devrait se poursuivre au-delà de 2025, à en croire son initiateur. «Nous continuerons par la suite de nourrir un blog pour évoquer ces régionalismes. Et nous publierons tous les mois des newsletters», assure Mathieu Avanzi.

Question confidentialité, les utilisateurs pourront rester anonymes sur cette application, si tel est leur souhait. Les données sonores qui seront enregistrées seront stockées sur un serveur à Neuchâtel. «Elles pourront agrémenter par la suite l’Atlas sonore de la Romandie et le Dictionnaire du français en Suisse romande.»