Le parlement débattra des réexportations d’armes suisses en Ukraine
Sous la pression européenne, le parlement va débattre des réexportations d’armes produites en Suisse
Partager
Xavier Lambiel
2 mars 2023 à 02:01
Guerre en Ukraine » La pression augmente au fil des semaines. Ces derniers jours, dans une interview accordée à la Sonntagszeitung, c’est la nouvelle ambassadrice de Volodymyr Zelensky à Berne, Iryna Venediktova, qui a appelé le Conseil fédéral à autoriser les réexportations d’armes: «S’il vous plaît, laissez les autres pays envoyer en Ukraine leurs armes fabriquées en Suisse.»
Dans un sondage Tamedia et 20 Minuten paru hier, un Suisse sur deux soutient aussi une autorisation des Etats tiers à transmettre des armes et des munitions helvétiques à l’Ukraine, alors que 46% s’y opposent. L’enjeu de ce débat que les parlementaires aborderont la semaine prochaine, c’est surtout un lot de 12 400 obus de 35 millimètres produits en Suisse et achetés par l’Allemagne il y a une vingtaine d’années. Ces munitions sont notamment celles du char antiaérien à double canon Flugabwehrkanonenpanzer Gepard, développé entre 1966 et 1974 par des entreprises suisses et allemandes, et surnommé «Guépard».
Impatience des Allemands
Depuis le début de la guerre en Ukraine, l’Allemagne a fait savoir à de nombreuses reprises, et par de multiples canaux, qu’elle souhaitait réexpédier ces obus en Ukraine. «Nous parlons de munitions achetées par l’Allemagne il y a vingt ans, pour des systèmes défensifs», relève l’ambassadeur d’Allemagne en Suisse Michael Flügger. «Ils servent à protéger les lignes de chemin de fer qui permettent l’exportation des céréales produites en Ukraine, qui sont nécessaires aux pays les plus pauvres d’Afrique.»
Face au refus ferme du Conseil fédéral, le constructeur allemand Rheinmetall et Berlin ont décidé de bâtir leur propre ligne de production. L’Etat a passé une première commande de 300 000 pièces et la société promet de premières livraisons pour juin prochain. Pour Michael Flügger, «les munitions que nous avons achetées à la Suisse et qui sont stockées en Allemagne pourraient aider l’Ukraine dans l’intervalle.»
Il y a une semaine, au moment de défendre le bilan du Conseil fédéral une année après le début de l’invasion russe, Ignazio Cassis a laissé transparaître de l’agacement: «D’éventuelles réexportations ne correspondent pas au cadre de notre neutralité. De plus, elles n’apporteraient pas une aide militaire décisive à l’Ukraine».
Historien et rédacteur en chef de la Revue militaire suisse, Alexandre Vautravers acquiesce. Pour lui, «c’est un débat insolite, insignifiant et dérisoire». Les deux canons du Guépard tirent 1100 coups à la minute. Il a eu l’occasion de voir ces armes à l’œuvre. «Avec ce système de chargement automatique, les munitions partent très vite. 12 400 obus, c’est seulement quelques minutes de tir». Par ailleurs, ces munitions ont une durée de vie d’une trentaine d’années et seront bientôt périmées.
Une réponse aux drones
L’historien remarque aussi que les Guépard transmis à l’Ukraine ont bénéficié de mises à jour, et semblent pouvoir être alimentés par des munitions plus sophistiquées. «Si l’Allemagne avait livré ces vieux obus à l’Ukraine sans demander d’autorisation à la Suisse, nous ne nous en serions probablement même pas aperçus», glisse Alexandre Vautravers.
Même si son système de tir a déjà été engagé dans d’autres conflits, le Guépard est utilisé dans une guerre pour la première fois en Ukraine, environ 50 ans après son développement, et plus de dix ans après avoir été retiré de l’armée allemande. Berlin en a livré plus d’une trentaine à Kiev l’été dernier.
Pour Moritz Vichser, chef de produit de la division anti-aérienne de la société Rheinmetall, «c’est un succès». Dans un article à paraître dans la Allgemeine Schweizerische Militärzeitschrift, cet ingénieur décrit le Guépard comme la réponse adaptée aux «drones bon marché qui provoquent un effort de défense démesuré». Sur les réseaux, des images attestent de son efficacité face aux munitions rôdeuses Shaded, des drones de conception iranienne, qui disposent d’une autonomie de 24 heures, et qui pleuvent massivement sur l’Ukraine avec leurs charges explosives.
Une arme obsolète parfaite pour abattre des drones rudimentaires? Alexandre Vautravers voit les choses différemment: «Le Guépard est encore utilisé dans plusieurs pays, comme la Turquie, le Qatar ou le Brésil. Il reste un très bon concentré de technologies rassemblées sur un seul véhicule très mobile». Deux radars, l’un de surveillance, et l’autre de poursuite, équipent l’engin, tout comme un système de vision nocturne. Un blindage protège les trois militaires nécessaires à le faire fonctionner.
Lenteurs parlementaires
Le hic, c’est le manque de munitions. Depuis près de deux semaines, l’Otan et son secrétaire général Jens Stoltenberg tentent d’alarmer les alliés: «L’Ukraine utilise des munitions à un taux plusieurs fois supérieur à notre taux de production.» D’où les voix s’élevant en Europe pour demander à la Suisse de contribuer à l’effort de guerre. «Elle se réfugie derrière des juristes pour expliquer que les armes qu’elle fabrique ne doivent pas être utilisées pour faire la guerre», déplorait récemment sur un plateau de télévision Guillaume Ancel, ancien officier français.
Lundi prochain, les sénateurs débattront justement une motion du président des libéraux-radicaux Thierry Burkart, qui souhaite supprimer les obstacles à la réexportation pour les pays qui partagent les valeurs de la Suisse. Deux jours plus tard, le Conseil national étudiera une proposition qui donne plus de marge de manœuvre au Conseil fédéral sur le sujet. Ces discussions s’éloigneront rapidement des 12 400 obus destinés au Guépard, pour tourner au débat sur la neutralité. Elles ne seront sans doute pas terminées lorsque les premiers obus de Rheinmetall seront livrés à l’Ukraine. ESH médias
Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus