Pandémie » La fin de mandat de la task force scientifique Covid-19 ce 31 mars a été annoncée sans que cela ne suscite vraiment de réactions étonnées. Le mandat du groupe de conseillers a même été écourté à sa demande, sans que personne ne s’en émeuve. Or, au cours des deux dernières années, la réunion d’experts œuvrant dans différentes universités du pays a joué un rôle majeur d’information et de conseil stratégique auprès du gouvernement. Non sans susciter quelques accrocs, coups d’éclat, voire des menaces de mort à leur encontre. Retour avec sa vice-présidente, la bioéthicienne Samia Hurst, sur l’utilité d’une telle structure, sur son action lors des vingt-quatre derniers mois et sur les réactions qu’elle a provoquées dans la sphère publique.
Lorsqu’on voit le rôle joué par les membres de la task force depuis le début de la pandémie, sa dissolution pure et simple interroge. Est-elle devenue inutile?
Samia Hurst: La task force (TF) scientifique Covid-19 va se terminer cette semaine, mais la communauté scientifique suisse sera évidemment encore là. Un apport scientifique sera bien sûr encore accessible aux décideurs. C’est important, car la pandémie n’est pas terminée. Ce dont nous n’avons plus besoin pour le moment en revanche, c’est de ce grand travail de mise en commun d’informations qui arrivaient très rapidement et d’un grand nombre de domaines scientifiques en même temps. Le flux d’informations nouvelles s’amoindrit à présent, et devient à nouveau gérable avec des moyens plus ordinaires.
La task force ne laissera donc pas place à un vide, mais à une structure réactivable en temps de crise?
Des discussions sont en cours entre nos différentes institutions de soutien – la TF est une émanation des écoles polytechniques fédérales, de Swissuniversities, des Académies suisses des sciences et du Fonds national – et la Confédération pour faire une proposition de structure capable de réactiver en temps de crise cette fonction de conseil scientifique en temps réel. Il est important que la fonction remplie par la task force puisse être pérennisée.
Qu’il y ait à disposition des décideurs une sorte de hotline vers la communauté scientifique donnant accès aux informations dans une telle période. Mais pérenniser la task force actuelle avec ses membres aurait été une erreur. Nous étions la bonne structure et les bonnes personnes pour faire ce travail pendant la crise du Covid-19, mais d’autres crises seront différentes et nécessiteront des personnes différentes.
Quel type de structure est discuté en ce moment?
En Suisse, nous avons à la fois une communauté scientifique et une gouvernance politique que le monde nous envie. Avant la pandémie, nous avions évidemment des moyens de faire communiquer les deux, mais ces moyens n’étaient pas structurés pour un fonctionnement en temps de crise. Les parties sont d’accord sur le fait que la Suisse a besoin d’une structure scientifique qui puisse mobiliser rapidement et de manière ciblée les experts des domaines pertinents, en axant cela sur la crise du moment. Et il pourrait s’agir de tout autre chose: de sécurité digitale, de sécurité énergétique, de climat, ou d’enjeux imprévisibles à l’heure actuelle.
En quoi le rôle joué par une telle structure est-il important?
Une partie des disputes de communication autour de la pandémie a révélé qu’il y a un déficit de compréhension dans la population sur comment marche la connaissance scientifique. Nous avons des programmes scolaires très bons pour apprendre ce que c’est que la science et sur ce que l’on sait. Ce qui est moins enseigné, c’est comment nous arrivons à ce savoir. Comment faire la différence entre une connaissance et une hypothèse, entre un fait avéré et des fake news. Les divergences d’avis dans une démocratie sont parfaitement normales. Nous avons le droit d’avoir nos propres opinions. Mais nous ne pouvons pas avoir nos propres faits. La réalité ne se plie pas à ce jeu-là. Il est crucial de clarifier inlassablement cette limite et de le faire rigoureusement, car autrement nous nous mettons à vivre dans des réalités parallèles et il devient impossible de nous retrouver. C’est un enjeu démocratique.