En rémission du sida
Après avoir vécu 30 ans avec le VIH, un patient genevois «guéri» après une greffe de moelle osseuse
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Gilles Labarthe
21 juillet 2023 à 04:01
Santé » Se retrouver en situation de rémission du sida, à la suite d’une greffe de moelle osseuse, c’est possible. La preuve vivante: un cas extraordinaire a été présenté hier en visioconférence par la professeure Alexandra Calmy, médecin adjointe agrégée, responsable de l’Unité VIH aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et par le professeur Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur. Un cas tellement extraordinaire qu’il sera aussi exposé le 24 juillet prochain à Brisbane, en Australie, à l’occasion de la Conférence internationale scientifique sur le VIH (IAS 2023). Et tellement heureux, inespéré, que la personne en question a récemment déclaré: «Ce qui m’arrive est magnifique, magique, nous sommes tournés vers l’avenir.»
Quel est son profil, son parcours? «Nous l’appellerons «le patient genevois», pour des raisons de confidentialité», répond Alexandra Calmy, afin de protéger son identité, mais en rappelant son long et difficile cheminement à travers la maladie. Agé aujourd’hui de 49 ans, il a été contaminé par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) «au début des années 1990, à une époque où les traitements antirétroviraux n’existaient pas». Il a dès que possible et toujours suivi un traitement antirétroviral et a vécu pendant trente ans avec le VIH… «En 2018, pour traiter une forme particulièrement agressive de leucémie, il a été soumis à une chimiothérapie. Puis en juillet 2018, à une greffe de moelle osseuse, en vue de reconstituer ses réserves de cellules sanguines et immunitaires», poursuit Alexandra Calmy.
Plus trace de VIH
Et c’est bien cette opération qui a fait la différence. «Un mois après la greffe, les tests ont montré que les cellules sanguines du patient avaient été entièrement remplacées par celles du donneur. Ces résultats ont été accompagnés d’une diminution drastique des cellules portant le VIH. Le traitement antirétroviral a été progressivement allégé et définitivement arrêté en novembre 2021», résument les HUG.
Aujourd’hui, 20 mois après cette interruption et malgré les nombreuses analyses menées, toute trace du virus reste chez lui invisible. Les spécialistes n’ont détecté «ni particules virales, ni réservoir viral activable, ni augmentation des réponses immunitaires contre le virus dans l’organisme du patient. Ces preuves n’excluent pas que le virus y persiste encore, mais elles permettent à l’équipe scientifique de considérer le cas de cette personne comme celui d’une rémission de l’infection par le VIH», informent les HUG.
Le parcours de ce «patient genevois» est exceptionnel à plus d’un titre. Et son cas si particulier qu’il est étudié en collaboration avec l’Institut Pasteur et l’Institut Cochin, en France, et le consortium IciStem aux Pays-Bas, composé d’experts européens et chargé de guider et d’étudier le potentiel de guérison du VIH par la greffe de cellules-souches. Car aujourd’hui, seules cinq personnes dans le monde sont considérées comme «probablement guéries» de l’infection par le VIH après avoir reçu une greffe de moelle.
Un défi pour l’avenir
Or pour tous ces cas, la greffe était issue d’un donneur portant une mutation génétique rare, appelée CCR5 delta 32, connue pour rendre les cellules naturellement résistantes au VIH. Sur ce plan, la situation du patient genevois est très différente: il a été impossible de trouver un tel donneur dans les délais et au vu du contexte de la greffe réalisée aux HUG, expliquent Alexandra Calmy et le professeur Yves Chalandon, médecin chef de service, responsable de l’unité d’hématologie oncologique et de transplantation allogénique de cellules-souches hématopoïétiques.
Alexandra Calmy évoque l’attitude exceptionnelle, elle aussi, du patient, qui a vu dans cette opération une des seules voies de guérison possibles et une occasion de contribuer à faire progresser d’autres formes de thérapies contre le sida. «Il voit très bien la portée de ce qu’il est en train de vivre. Il le vit comme un miracle, un défi pour l’avenir et pour toutes les personnes qui vivent avec le VIH sur la planète.» Le patient genevois est aussi en rémission de sa leucémie. Il a souhaité rester anonyme et ne pas répondre à des questions complémentaires.
Le succès de son opération et sa rémission ouvrent aussi la voie à de nouvelles hypothèses et pistes de recherche, tout aussi précieuses et même surprenantes. A commencer par le fait qu’une greffe basée sur la mutation CCR5 delta 32 ne semble dans ce cas «plus complètement nécessaire», notent les experts. Le fait que le patient genevois ne porte plus de trace de VIH décelable après avoir reçu une greffe de cellules non naturellement résistantes au VIH «paraît assez contre-intuitif», relève Asier Sáez-Cirión, de l’Institut Pasteur. L’attention se porte notamment sur le rôle des traitements immunosuppresseurs. Pourquoi? Lorsqu’une personne est transplantée, il faut en effet artificiellement limiter l’action du système immunitaire pour prévenir le rejet de la greffe.
Dans le cas observé, il semble que ces traitements immunosuppresseurs «établissent un état de repos immunitaire qui bloque la capacité du VIH à se multiplier. Ce nouveau cas apporte des éléments inattendus sur les mécanismes d’élimination et de contrôle des réservoirs viraux, qui seront importants pour l’élaboration de traitements curatifs du VIH. C’est une piste complètement nouvelle à explorer».
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