Le gazon dans sa version démocratique
En Suisse, les courts de tennis en herbe sont rares et appartiennent à de riches privés. Sauf à Bienne
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Pierre Salinas
27 juin 2019 à 19:28
Tennis » Matricule 38 au classement ATP, le Français Pierre-Hugues Herbert y a usé les picots de ses semelles pendant deux jours, avant de se hisser en demi-finale du tournoi de Halle, seulement battu par Roger Federer. Preuve que la préparation du Jurassien d’adoption ne fut pas mauvaise, au contraire. Ancien No 2 mondial, la Russe Vera Zvonareva a aussi été aperçue dans les parages. Comme Viktorija Golubic (WTA 83). Cette semaine, ce fut au tour de Timea Bacsinszky (WTA 93) de vivre l’«expérience Gurzelen», du nom de cet ancien stade de football transformé – en partie – en courts de tennis, au nombre de deux. Mais deux courts en gazon, les premiers de Suisse ouverts au public, les autres appartenant à de riches privés.
Le gazon, cette surface chère à Wimbledon, dont les trois coups seront donnés lundi, et qui rappelle les temps anciens: ou quand la version moderne du jeu de paume était réservée à une élite chic en robe blanche et en pantalons. A Bienne, grâce à l’association Tennis Champagne basée dans le quartier de la Champagne, ceci explique cela, l’herbe sent moins le brut que le houblon, qui coule à flots dans une ambiance post-soixante-huitarde enivrante. L’idée a germé en 2017 de la tête de Matthias Rutishauser, quadragénaire dandy bien connu de la place seelandaise, et de deux de ses acolytes, lesquels se sont astreints à donner une nouvelle vie à la vénérable Gurzelen, évincée par la moderne Tissot Arena où le FC local élit désormais domicile.
La liberté a un prix
Par le biais d’une plateforme de financement participatif, le collectif a récolté quelque 30’000 francs, qu’il a directement reversés… dans le sol, la construction de ce qui était alors un «rêve» ayant notamment nécessité 25 tonnes de sable volcanique. «Ici, ce n’est pas Wimbledon: tu ne dois pas lâcher 3000 pounds pour taper dans la balle, sourit Matthias Rutishauser. Certains paient une cotisation, oui, mais tout le monde est libre de venir: c’est une démocratie! Par exemple, impossible de réserver à l’avance ou sur internet: il faut le faire le jour même en inscrivant son nom sur une ardoise.» La liberté à un prix: 30 francs l’heure. Une somme modeste au regard de l’entretien que réclame le gazon, lequel a besoin «d’être taillé à l’aide d’une tondeuse spéciale qui coûte elle-même 15’000 francs», précise Matthias Rutishauser.
Il faut réserver le jour même en inscrivant son nom sur une ardoise
Malgré l’inlassable travail de deux groundsmen (hommes de terrain), le résultat n’est pas comparable aux standings londoniens. Tout le monde le sait mais personne ne s’en plaint. «Les courts sont un peu mous, mais il n’y a pas mieux de toute façon», note le Fribourgeois Adrien Bossel, qui habite à Bienne. Et l’ancien No 262 mondial d’ajouter: «Peu importe la qualité, l’intérêt est de s’habituer à une surface complètement différente des autres et qui requiert une manière de bouger différente aussi.»
Trois possibilités
Swiss Tennis elle-même, qui ne possède pas de courts en gazon et dont le vaisseau amiral est amarré à deux pas de la Gurzelen, n’a pas tardé à sauter sur l’aubaine. «Pour jouer sur herbe en Suisse, trois possibilités, explique Yves Allegro, entraîneur en chef à la Fédération. Il y a un court du côté de Zurich et un autre aux alentours de Genève, mais il faut les connaître car leurs propriétaires tiennent à garder le lieu confidentiel.» A ce sujet, Adrien Bossel se souvient «avoir aperçu Rodg’ (Roger Federer) s’entraîner du côté de Nyon.» Parenthèse refermée.
En attendant de voir le «Maître» à la Gurzelen un jour, un rêve cher à Matthias Rutishauser, ce sont les espoirs du pays qui préparent le tournoi de Wimbledon juniors sur les parcelles qu’il a lui-même transformées. «Avant, nous avions l’habitude de partir en Angleterre plus tôt pour jouer sur moquette. Comme sur herbe, la balle ne monte pas, mais les conditions n’étaient pas les mêmes. A Bienne, elles sont parfaites», juge Alessandro Greco, directeur du sport d’élite au sein de Swiss Tennis.
A durée indéterminée
Amateurs ou professionnels, punks ou dandys, cordonniers ou va-nu-pieds, car il y a des chaussures à disposition: les terrains de Tennis Champagne sont ouverts à tous, mais pas tout le temps. Ne font-ils pas relâche les lundis, mardis et mercredis afin de préserver un gazon fortement sollicité? Avec la ville de Bienne, les membres de l’association ont signé un contrat à durée indéterminée mais, déjà, ces derniers savent qu’ils ne pourront squatter les lieux indéfiniment, les citoyens ayant donné leur feu vert à un projet immobilier. Matthias Rutishauser n’est pas inquiet pour autant: «Avant cinq, six ans, je pense que rien ne sera construit. Alors, profitons-en!»
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