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Sports de combat

Le petit Fritzli au paradis des grands

En champion de boxe, Fritz Chervet avait électrisé le pays. Le Fribourgeois est décédé à 77 ans

Fritz Chervet (à gauche) lors de son combat face au Thaïlandais Chartchaï Chionoi le 27 avril 1974.

 pascal bertschy

pascal bertschy

31 août 2020 à 04:01

Boxe » Comme les Suisses ont aimé ce champion! D’ailleurs, ils en avaient fait naguère leur Fritzli national. Tristesse et nostalgie de mise pour ceux qui s’en souviennent: Fritz Chervet est décédé samedi à Meyriez, près de Morat, à l’âge de 77 ans.

Pour ce qui est de sa place dans l’histoire du sport suisse, l’affaire est réglée depuis longtemps. Aucun de nos boxeurs n’a été populaire comme lui. Aucun n’a été comme lui si près de décrocher un titre de champion du monde, pas même l’excellent Mauro Martelli. Grand, le petit Fritzli l’a été. Il a étincelé sur les rings, de surcroît en un temps où la boxe était reine du monde et où les titres signifiaient quelque chose.

La trilogie contre Atzori

Début des années 1960. Chez les Chervet, les quatre garçons font de la boxe. Fritz, lui, semble avoir été inventé pour elle. Allez, le Fribourgeois de Berne effectue ses débuts chez les professionnels en 1962 à Genève. Si c’est du lourd? Non, on ne peut pas dire ça. Fritz Chervet (1 m 65, 49 kg) boxe chez les mouches. Dans la plus petite catégorie de poids d’alors, ça va vite. Fritzli aussi: il gagne proprement ses combats. Invaincu, il défie en 1967 à Berne l’Italien Fernando Atzori pour le titre européen et perd par K.-O.

Ce n’est qu’un début, le début d’une fabuleuse trilogie Atzori-Chervet. Sous la férule rusée de Charly Buehler, son entraîneur, Fritzli s’est nourri de sa défaite. En 1972, bingo! Il bat l’Italien, cette fois, et devient champion d’Europe. Ce n’est pas rien. Les Suisses lèvent le nez, se prennent aussitôt d’affection pour lui. En 1973, au lendemain de Noël, Chervet les met définitivement dans sa poche: il remporte à Berne la «belle» contre Atzori par K.-O., signant là un de ses combats les plus parfaits.

L’homme est simple, attachant, et le champion est magnifique. Vif comme le vent, sec comme un caillou et brave comme un mousquetaire, Fritz Chervet est un d’Artagnan déguisé en boxeur. Sur un ring, on dirait un bretteur. Fritzli a l’art d’escrimer, d’esquiver et, à la fin, de toucher. Toujours beau à voir, il a un coup d’œil et une finesse technique hors de pair. On dirait un duelliste échappé d’un autre siècle et, bien plus encore, un artiste.

Il ne possède pas un immense punch, non. Avec son profil de roseau, il donne même au public l’impression d’être fragile. A chaque combat, on tremble donc pour lui. On a tort.

Rêve brisé par les juges

Ce roseau peut avoir la dureté d’un chêne. Il le prouve dans ses deux tentatives de décrocher la lune. A savoir le titre de champion du monde, propriété de l’impressionnant Thaïlandais Chartchaï Chionoi. En mai 1973 à Bangkok, Fritz démarre bien. Mais, coupé à une arcade, il est arrêté par l’arbitre avant la mi-combat.

Revanche en avril 1974 à Zurich. En 15 rounds, Chervet électrise la foule et domine Chionoi aux points. Les juges donnent pourtant la victoire au Thaïlandais sur une décision partagée. Au Hallenstadion, la bronca de 13 000 spectateurs fera du bruit et de la casse.

Fin 1976, l’épéiste des rings a 34 ans. Toujours aussi aiguisé, il bat le Thaïlandais Fairtex. Alléluia, une nouvelle chance mondiale s’offre au Fribourgeois. Le combat n’aura jamais lieu. Un jour, à la suite d’un différend avec Charly Buehler, Fritzli est allé vider son casier de la salle d’entraînement. Il a pris ses cliques, ses claques, et basta! Les grands stylistes peuvent avoir une de ces tronches! Chervet a mis fin à sa grande carrière comme ça, sur une humeur, sans se douter que son plus rude combat se trouvait devant lui.

Maison à Sugiez

Comment vivre loin du ring quand on est fait pour lui? Retiré, le petit bonhomme a très vite le sentiment que sa vie s’est arrêtée. Ce roman-là est un classique: après la lumière, place à la pénombre et à la mélancolie.

Fritzli se pose dans la maison familiale des Chervet à Sugiez, dans le Vully. Il y vit en célibataire, tente d’apprivoiser sa solitude. Heureux, il l’est en devenant huissier au Palais fédéral. Le travail lui plaît, permet au champion d’avoir son chouchou. Quand Jean-Pascal Delamuraz le croise dans un couloir, il a toujours une gentillesse pour lui et simule des petits gestes de boxeur…

Avec les ans, Fritz ne prend pas un gramme. Son secret: il enfile les gants et s’entraîne régulièrement dans la salle de l’Ecole de boxe de Fribourg, ce qu’il fera jusqu’à tard. Il a beau être bien dans sa peau, il n’en reste pas moins un écorché. En âme sensible, il se méfie d’un monde qui l’a souvent déçu et s’éloigne peu à peu de lui. Le monde y perdra: plus adorable et gentil que cet homme, il n’y avait pas.

Ah, une note encore: ce solitaire n’a pas toujours été seul. Certains anges ont virevolté autour de lui et, jusqu’au bout, ils ont pris soin du champion. De l’inoubliable Fritzli…

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