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Dossier spécial Qatar

Le Mondial au Qatar. «Une bizarrerie»

Et si cette Coupe du monde était la dernière offerte à un pays où la tradition footballistique est inexistante?

En 2010, au moment d’annoncer le Qatar comme pays hôte du Mondial 2022, Sepp Blatter savait sûrement déjà que ce serait une épine dans le pied de la FIFA.

 Patrick Biolley

Patrick Biolley

12 novembre 2022 à 02:01

Football » Si cette Coupe du monde au Qatar était finalement un mal nécessaire. Une sorte de point final à une escalade de la démesure. Ces dernières décennies, les principales réunions sportives – soit la Coupe du monde de football, les Jeux olympiques d’hiver et d’été et, dans une moindre mesure, l’Euro de football – se sont livrées aux mains des plus offrants. Niant d’une part la tradition sportive mais aussi les droits de l’homme ou l’écologie. Ce Mondial qatarien, qui commence dans une semaine, en est le sommet de l’absurde. Un point culminant de la mégalomanie qui coûterait, selon plusieurs sources, 220 milliards de dollars à l’émirat.

Faire exploser les coûts pour accueillir des événements mondiaux dans des lieux où tout est à créer n’est pas l’apanage du Qatar. Les Jeux d’hiver de Sotchi en 2014 (coût rapporté de 21 milliards de dollars) ou ceux de Pékin (38,5) au début de l’année ont suivi cette même tendance.

Capitalisme exacerbé

De quoi rendre les pays traditionnels orphelins, simplement car ils ne peuvent pas participer à cette course effrénée. «Nous nous situons au bout d’un processus où le sport n’est plus un simple miroir mais un acteur d’une société qui s’est transformée sous nos yeux en une forme de capitalisme exacerbé. Et la valeur argent y a constamment pris plus d’ampleur, estime Grégory Quin, historien du sport à l’Université de Lausanne. Dans ce contexte, seules les nations dont l’économie est basée sur les hydrocarbures peuvent s’offrir de telles manifestations.»

Il y a aussi un besoin politique de l’organisateur de s’affirmer. Non seulement au niveau régional, mais mondial. «Il y a une rivalité avec les autres pays du golfe, mais surtout la nécessité de diversifier une économie basée sur quelque chose, le pétrole en l’occurrence, qui forcément s’épuisera, estime Raffaele Poli, directeur de l’Observatoire du football basé à Neuchâtel. Le Qatar veut se faire connaître comme destination touristique. Le sport est une des stratégies pour transformer de fond en comble le pays, le faire exister aux yeux du monde.»

Un hôpital ou un stade?

L’organisation de tels événements est également plus simple dans un pays où les droits civiques sont moindres. Secrétaire général de la Fédération internationale de football (FIFA) de 2007 à 2015, inculpé dans le scandale de corruption touchant l’instance, Jérôme Valcke disait déjà en 2013: «Un moindre niveau de démocratie est parfois préférable pour organiser une Coupe du monde. C’est plus facile pour nous les organisateurs qu’avec un pays comme l’Allemagne où il faut négocier à plusieurs niveaux.» La Suisse est un exemple, puisque c’est la population valaisanne qui a refusé, après votation, le projet de candidature de Sion pour les Jeux de 2026. «Même si les gens sont enthousiastes pour le sport, si on leur demande leur avis, ils préféreront un hôpital à un stade, relève Grégory Quin. L’investissement est raisonné par la population. C’est la difficulté aussi: les règles ne sont pas les mêmes.»

Un tournant

Et pourtant, les choses changent. Les prochains Jeux olympiques d’été se tiendront à Paris, les suivants à Los Angeles. La Coupe du monde 2026 sera partagée entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique, celle d’après pourrait retrouver l’Europe, avec une candidature conjointe de l’Espagne et du Portugal (qui souhaitent ajouter l’Ukraine), ou l’Amérique du Sud avec l’association de l’Argentine, du Paraguay, de l’Uruguay et du Chili. «Il est aujourd’hui plus difficile et onéreux pour un pays d’être candidat seul, soulignait Alejandro Dominguez, président de la confédération sud-américaine en avril dernier. Une organisation conjointe permet de réduire le niveau d’investissements requis.»

Les erreurs du passé auraient-elles donc permis de privilégier dorénavant les intérêts sportifs? «Il y a un tournant qui est en train de se faire. Le Qatar a été un point d’inflexion, même si, à mon avis, la Coupe du monde 2018 (en Russie, ndlr) en a été un plus gros», estime Grégory Quin avant de rappeler: «La nouvelle version du Mondial des clubs devrait se dérouler en Chine. Il ne faudrait pas penser que le tournant est fait et tout est réglé. Je reste donc modéré, nous ne sommes pas à l’abri qu’une fuite en avant recommence à l’avenir.»

Ne pas répéter l’histoire

A la suite des attributions des Coupes du monde en Russie et au Qatar, le mode de désignation a tout de même changé. Ce ne sont plus les 25 membres du comité exécutif de la FIFA qui choisissent, mais les délégués des 209 pays membres de l’organisation. «A-t-on mis suffisamment de garde-fous pour éviter la corruption d’un groupe restreint de personnes?, se demande Raffaele Poli. J’ose espérer que ce système a été cassé par ce changement et d’autres réformes. Le fait qu’il y ait des candidatures conjointes est aussi un signe que le vent a tourné.»

Le directeur de l’Observatoire du football l’a d’ailleurs souvent rappelé lors de l’entretien: «Les pays occidentaux ont les infrastructures en place et l’habitude de ce genre de manifestations.» Mais cela n’empêche pas l’Arabie saoudite, la Chine ou les Emirats Arabes Unis d’avoir des vues sur les prochaines Coupes du monde. «Ce Mondial au Qatar restera comme une bizarrerie de l’histoire, il faudrait dorénavant éviter que l’histoire se répète», conclut Raffaele Poli.

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