Il y a 25 ans, des Lyôba à Tourbillon

Le 19 mai 1997, les amateurs de Fribourg s’inclinaient 5-2 à Sion en demi-finale de Coupe. Souvenirs

Sion, 19 mai 1997: les Fribourgeois Alain Gaspoz et Jacques Descloux (à droite) sont aux prises. Le premier sortira du terrain en vainqueur, mais le deuxième a gagné aussi.

Pierre Salinas

19 mai 2022 à 04:01

Commémoration » D’abord, le titre: «A Sion, Fribourg a mis un magistral point final à une aventure d’exception.» Puis les deux lignes d’accroche, juste en dessous: «Enivrés par le parfum de la Coupe, les Fribourgeois ont offert une magnifique réplique aux détenteurs du trophée. Sublimés par l’événement, ils ont marqué deux buts superbes.»

Tout est dit, et très bien écrit, sous la plume du regretté journaliste de La Liberté Marcel Gobet. Il y a 25 ans jour pour jour, les amateurs du FC Fribourg ont vécu ce qui reste pour beaucoup d’entre eux leur plus beau souvenir de ballon rond. Malgré la défaite (5-2). «J’ai joué contre Ivan Zamorano avant qu’il ne parte au Real Madrid, l’AC Milan de Marco Van Basten ou encore Kubilay Türkyilmaz. Mais jamais je n’avais ressenti une telle ferveur populaire», lâche Alexandre Bourquenoud (53 ans), défenseur grand et costaud aujourd’hui responsable de l’atelier biscuits et fruits à la prison de Bellechasse. L’un des deux buteurs «maison» de ce lundi de Pentecôte, aussi.

«Il y avait 15 000 spectateurs à Tourbillon, dont une tribune entière aux couleurs noir et blanc. Sur le terrain, on ne s’entendait pas!» rigole pour sa part Jacques Descloux (48 ans). Pour commémorer l’événement et refaire le monde autour d’un bon repas, l’ancien libero (car il y en avait encore en ce temps-là), avec l’aide de Paulo de Freitas et Christophe Jaquet, a eu l’idée de réunir l’ensemble des acteurs fribourgeois de ce 19 mai 1997. «Sur les 21 personnes contactées, 16 ont répondu présent», précise celui qui est devenu inspecteur scolaire. La rencontre se fera dans le courant du mois de juin. Nul doute qu’elle fera honneur à cette mémorable soirée sédunoise.

Engouement cantonal

Wicky, Quentin, Zambaz, Lonfat, Bonvin, mais aussi le Brésilien Milton et l’élégante patte gauche du Français Meyrieu: face à ce Sion au fort accent valaisan qui signera le doublé Coupe de Suisse-championnat, les pensionnaires de première ligue avaient opposé leur courage et une solidarité à toute épreuve. «Au-delà du match, je retiens l’esprit qui nous animait et cette identité forte dans laquelle beaucoup de Fribourgeois se reconnaissaient», commence Alexandre Bourquenoud. «Il faut dire qu’à l’exception de Flammini, qui était Neuchâtelois, l’équipe n’était composée que de joueurs du cru ou de la région, reprend-il. Le club était allé chercher Raigoso à Courtepin, Rudaz à Schmitten… Corminbœuf (Michel), lui, était la plaque tournante de Domdidier. Chaque district était représenté.»

Cet engouement cantonal avait débordé jusque dans les gradins où une banderole «100% made in Neyruz» avait été placée pour l’occasion: «Gaspoz (alors au FC Sion, ndlr) ou Odin? Un Neyruzien en finale!» «Avant de se rendre au stade en car, raconte Jacques Descloux, nous nous étions arrêtés dans un hôtel de Fully. Pour la fameuse sieste et la non moins fameuse causerie. En repartant, nous avions croisé de nombreuses voitures avec des plaques fribourgeoises qui nous klaxonnaient ou qui arboraient des drapeaux. Un jour durant, nous avions vécu comme des «pros», en somme.» Et Alexandre Bourquenoud de renchérir: «Lors des cinq dernières minutes, tous les supporters chantaient le Lyôba (le Ranz des vaches, ndlr). C’était assez émouvant.»

Le but de Bourquenoud

L’ambiance avait été au rendez-vous, à l’image d’un FC Fribourg qui, malgré les deux ligues qui le séparaient de son adversaire de LNA et les caméras de la télévision auxquelles il n’était pas habitué, n’avait jamais été ridicule, loin de là. Menés de deux longueurs avant la mi-temps, les «Pingouins» de Gérald Rossier, lequel avait succédé à l’Irlandais Don Givens trois semaines plus tôt, n’avaient-ils pas inscrit le 2-1 de l’espoir peu après le retour des vestiaires par l’entremise d’Alexandre Bourquenoud (50e)?

«Il fallait bien que je me rattrape, car le 1-0 était un peu de ma faute, sourit l’arrière central. Au lieu de dégager, j’avais voulu dribbler l’attaquant qui s’était retrouvé seul devant le gardien (Dumont). Alors, quand j’ai vu Odin déborder côté droit puis temporiser parce qu’il n’avait pas de solutions, j’ai piqué un sprint jusqu’aux 20 mètres. Odin m’a fait la passe, j’ai tiré et le ballon a terminé sa course dans le petit filet opposé.» Et l’heureux buteur de regretter aussitôt: «Marquer à Tourbillon, c’est extraordinaire! Sauf que trois minutes plus tard, nous prenions le 3-1. Et là, c’était fini.»

Murray plutôt que Milton

Le public n’en tiendra pas rigueur à ce vaillant contradicteur que Match Mag, le magazine suisse du football, n’avait pas hésité à comparer au grand Ajax. «Parce que nous jouions bien au foot», précise fièrement Alexandre Bourquenoud. «Personnellement, je me suis dit: mince, et si on repart d’ici avec 8-0, ce serait moche quand même… Je m’étais mis une grosse pression mais, au final, je pense que nous avons soutenu la comparaison», souffle Jacques Descloux, qui rentrera avec le maillot de Neil Murray, un sombre Ecossais, sous le bras, alors qu’il n’avait d’yeux que pour Luiz Milton et ses chaussettes en bas des chevilles. Sans rancune.

Sion - Fribourg 5-2

(2-0). Stade de Tourbillon: 15000 spectateurs. Arbitre: M. Hans Muller. Notes: Sion sans Chassot ni Sylvestre (blessés). Fribourg sans Jacolet (blessé).

Sion: Borer; Milton; Wicki, Veiga, Quentin (46e Biaggi); Gaspoz, Zambaz, Meyrieu, Lonfat; Lukic (71e Murray), Bonvin (61e Ouattara). Entraîneur: Alberto Bigon.

Fribourg: Dumont; Descloux; De Freitas (38e Roulin), Bourquenoud; Crausaz, Brülhart, Corminboeuf (82e Dos Santos), Meuwly; Jaquet; Odin, Raigoso (71e Flammini). Entraîneur: Gérald Rossier.

Buts: 35e Lukic 1-0. 39e Lonfat 2-0. 50e Bourquenoud 2-1. 53e Zambaz 3-1. 81e Ouattara 4-1. 83e Milton 5-1. 86e Flammini 5-2.