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Cyclisme

Partie en jupe, revenue en pantalon

Annie Cohen Kopchovsky a été la première femme à effectuer le tour du monde à vélo entre 1894 et 1895


 Claude Marthaler

Claude Marthaler

23 avril 2020 à 04:01

Aventure » Contacté par un chercheur inconnu au début des années 1990, Peter Zheutlin entend ainsi pour la première fois parler des exploits d’Annie Cohen Kopchovsky, son arrière grand-tante. Son enquête démarre et se transforme bien vite en une véritable mission. Quelques semaines après le début de sa recherche, les médecins lui détectent un cancer de la thyroïde. Peter Zheutlin se soigne et la bicyclette devient alors pour lui à la fois la voie vers la guérison et, comme Annie, un moyen de contrôler sa propre destinée.

En octobre 2003, Peter Zheutlin retrouve enfin Mary, 72 ans, la petite-fille d’Annie, qui dit de sa grand-mère qu’elle était «une conteuse d’histoires invétérée, d’un caractère outrageux, qui entretenait une relation très épisodique avec la vérité». Une fois rétablie, la vérité n’en est pas moins extraordinaire: Annie Londonderry (c’est son nom de voyageuse) figure au panthéon des aventurières du vélo.

Un défi relevé

Le 25 juin 1894, Annie, fille d’immigrants juifs de Boston originaires de Riga en Lettonie, de condition très modeste, quitte momentanément son mari et ses trois enfants en bas âge pour enfourcher une bicyclette de 19 kg. Son but: réaliser rien de moins que le premier tour du monde féminin à vélo! Et cela, moins d’une décennie après le premier effectué (en réalité à grand-bi) par l’Anglais Thomas Stevens. Une initiative audacieuse qu’elle a prise en réponse au pari de deux riches businessmen de Boston qui juraient que jamais une femme ne pourrait accomplir un tel exploit. Annie devra non seulement prouver sa résistance physique mais aussi sa débrouillardise en récoltant 5000 dollars durant son périple. Les deux hommes s’engagent alors à lui verser le double, soit 10 000 dollars, une somme formidable pour l’époque (le prix d’un billet en 3e classe sur le Titanic était de 50 dollars). L’esprit est inspiré de Jules Vernes et de son célèbre Tour du monde en 80 jours paru en 1872.

Annie Cohen Kopchovsky a tout juste 23 ans et n’a pas un kopeck. Au moment du départ, un représentant des cycles Columbia, membre de la Ligue américaine des Wheelmen, lui remet un vélo. La Londonderry Lithia Spring Water Company lui offre 100 dollars pour placarder un panneau publicitaire à l’arrière de son vélo et surtout lui imposer de porter, le temps du voyage, le nom de la compagnie. Annie s’appellera dorénavant Londonderry, ce qui lui évitera par la même occasion l’usage de son nom juif, pas toujours bien reçu.

Détails pittoresques

Pionnière qui s’ignore, elle amorce alors le cyclisme professionnel, en introduisant la première publicité dans le domaine du vélo et qui ne concerne pas le cyclisme, la même qui couvre aujourd’hui les coureurs professionnels de la tête aux pieds.

L’Américaine aura aussi la présence d’esprit d’acheter des plaques de verre (les photos souvenirs de l’époque), afin d’étoffer ses conférences avec une «lanterne magique.» Là aussi, elle fait preuve de flair et de modernité: cette façon de gagner de l’argent sera largement pratiquée ensuite par les sportifs et les voyageurs. Annie Londonderry est bien un personnage d’avant-garde dans une époque de dépression économique, de boom cyclophile (les vélos se vendent par millions), de paris insensés, de voyages planétaires et d’émancipation de la femme.

L’œil affectueux et journalistique de Peter Zheutlin ne rate pas les écarts de son héroïne par rapport à la vérité. L’auteur du livre retraçant l’aventure d’Annie déniche des détails pittoresques et parfois douloureux de son arbre généalogique et permet au lecteur de se faire une bonne idée de l’époque victorienne. Dans les années 1890, les médecins s’affrontaient pour savoir si le cyclisme était nuisible ou, au contraire, profitable au sexe dit faible et s’il ne risquait pas de lui donner des idées! A l’inverse, les fabricants de vélos, visionnaires aux dents longues, rêvaient, eux, d’une nouvelle clientèle.

 

> Around the world on two wheels, Annie Londonderry’s Extraordinary Ride, de Peter Zheutlin, Citadel Press, Kensingstonbooks Publishing Corp, 2007, 260 pages, 12 photos.

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