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Lectrices et lecteurs en Liberté

Lectrice en liberté. Antoinette Glauser, Villars-sur-Glâne

Antoinette Glauser pour la lectrice en Liberté Photo Lib/Alain Wicht, Villars/Glâne, le 27.04.2022Alain Wicht/Alain Wicht/La Liberté

Angélique Eggenschwiler

Angélique Eggenschwiler

6 mai 2022 à 15:19

Temps de lecture : 1 min

Migration » Née en Italie à la veille de la guerre, c’est un pays en pleine convalescence qu’Antoinette quitte en 1954. À 84 ans, cette arrière-grand-maman se souvient de l’accueil frileux que lui réservent alors les Suisses. Une vieille blessure qui n’entame toutefois ni son humour ni son savoureux franc-parler...

Vous êtes née en Italie en 1938. La guerre, vous en avez encore des souvenirs?

Beaucoup même! À l’époque, on s’était réfugié dans une bicoque à 7 km de Pescara, on n’avait rien, ni eau, ni toilette, ni chauffage. Un jour, deux Allemands sont arrivés avec leurs fusils pour demander à manger, je revois encore ma mère, enceinte jusqu’aux yeux, avec mon frère dans les bras – vous vous rendez compte, faire des enfants pendant la guerre?! Ils n’avaient pas de capotes à l’époque? (rires) – tout ça pour vous dire que ma mère pleurait quand ils sont partis, elle pleurait pour eux: «Ah ces pauvres enfants, à peine sortis de l’adolescence…» Je trouve ça assez joli, au fond qu’est-ce qu’ils en pouvaient eux?

Et vous leur avez donné à manger?

Mais on n’avait rien à manger! Peut-être un peu de farine pour faire des pâtes, c’est tout. Mon père élevait des cochons d’Inde, c’était la seule viande, ma mère avait dit: «Hors de question, je ne mange pas ça, on dirait des taupes!» (rires) C’est difficile à croire, je pense que si on ne passe pas par-là, on ne peut pas imaginer ce que c’est que la guerre. La guerre, ce n’est pas rien que les bombes.

À vous entendre, la guerre c’est surtout la faim…

Bien sûr! Quand on est rentré à Pescara, l’atelier de mon père était toujours debout mais ils avaient pris tous les outils, c’est d’ailleurs ce qui nous a décidés à venir en Suisse, on crevait de faim… Moi j’étais maigre si vous saviez! Et puis alors les poux! Quand je parle de poux je me gratte déjà. Il faut imaginer, vous revenez dans votre ville à moitié détruite, où voulez-vous aller chercher quelque chose contre les poux?

Arrivée en Suisse à 16 ans, vous êtes embauchée au bout de trois jours. Quel travail aviez-vous dégoté?

(Elle rit) Les munitions! Je faisais de l’assemblage dans une fabrique. Mamma Mia, qu’est-ce que j’étais triste! Je me revois sur ce quai de gare le premier jour, sans savoir quel train je devais prendre et je ne parlais pas un mot de français! Au bout de six mois, j’ai su me débrouiller un peu, j’étais obligée, et alors j’ai entendu les pires choses dans les vestiaires…

Quel genre de choses?

Les Italiens sont sales, ce sont des Tschink, des Spaghettis... Le midi je mangeais dans une petite pension, jamais quelqu’un n’est venu s’asseoir à côté de moi! Je suis arrivée en Suisse avec des ballerines, j’ai travaillé tout l’hiver 1954 avec un petit gilet en laine, vous croyez que quelqu’un aurait eu l’idée de me prêter une jaquette? On a terriblement souffert du racisme vraiment, pourtant on n’avait jamais rien demandé, jamais. Il faut savoir que nous, on a été élevé au ceinturon, on était quatre enfants et à notre arrivée le père nous a dit: il faut dire bonjour, merci, pas de bruit après 22 heures et il n’était pas question de tirer au flanc. Mais ce n’est pas pour me plaindre, je raconte c’est tout.

Vous seriez pourtant en droit de vous plaindre…

Vous savez, pendant longtemps, j’ai traîné ce déracinement comme un boulet aux pieds, je restais en retrait, j’avais peur qu’on me dise: «toi t’arrête, t’es pas suisse!» Aujourd’hui j’ai une autre philosophie, je sais qui je suis et ce que je vaux, plus rien ne m’atteint.

Ce français que vous maniez à la perfection dans vos courriers des lecteurs, vous l’avez donc appris sur le tas?

À l’époque, j’ai pris des cours avec une prof à domicile, quelle idée! Elle m’a fait faire une petite dictée en arrivant et au bout de 17 heures de cours j’avais plus de fautes! (rires) Bon, il faut dire que j’ai eu la chance d’aller à l’école en Italie, pas grand-chose, huit ans et demi mais à l’époque certains enfants faisaient deux ans c’est tout. Je suis contente d’avoir été un peu instruite malgré tout. Après, l’instruction c’est quelque chose qui se cultive, il faut la nourrir, entretenir le feu.

Chez vous, ce feu se nourrit surtout par la lecture...

Oui, il faut savoir que chaque fois que je lis un livre, je le vis. Je lis beaucoup de biographies, c’est peut-être du voyeurisme je ne sais pas, en tout cas j’aime les choses vraies, sans détour, schiette comme on dit en Italien.

Et puis il y a La Liberté

Oh oui, le matin c’est mon café, ma Liberté, point barre! Pour tout le reste je ne suis pas comme les autres vieux! (rires) Ça me fait penser, un jour je descends chercher le journal et je ne le trouve pas dans la boîte aux lettres. Je m’énerve, je commence à me plaindre à un monsieur qui passait par là: «Ah La Liberté, c’est pas possible, ils font n’importe quoi avec la livraison et patati et patata...» Et une fois que j’ai fini mon show, il me dit: «Mais Madame, c’est dimanche aujourd’hui». Aïe, aïe, aïe la boulette...

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