«Il est difficile de rester silencieux»
Le militantisme des sportifs noirs a repris de la vigueur aux Etats-Unis. Le phénomène ne date pas d’hier
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Kessava Packiry, New York
20 mars 2019 à 13:29
Racisme » Le footballeur américain Colin Kaepernick va-t-il retrouver un club? Oui, ont laissé entendre ses avocats, tout en restant prudents sur les négociations. Superstar aux Etats-Unis, le quarterback de 30 ans est sur la touche depuis l’été 2016 pour être resté assis, puis en posant un genou à terre durant l’hymne national joué avant les matches. L’ex-joueur de San Francisco, sans contrat depuis 2017, avait lancé un mouvement de boycott pour protester contre les violences policières. «Je ne vais pas me lever pour montrer ma fierté à l’égard du drapeau d’un pays qui opprime les Noirs et les gens de couleur. Cela va au-delà du football et ce serait égoïste de ma part de détourner le regard», avait déclaré le rebelle métis.
Adulé autant que détesté, Kaepernick a vu la puissante NFL, la ligue de football américain, l’ostraciser sous l’impulsion d’un Donald Trump hors de lui. Rejeté par les franchises, Kaepernick, devenu un symbole, s’est retrouvé en égérie de Nike en septembre dernier. Avec ce slogan: «Crois en quelque chose, même si cela signifie tout sacrifier».
Avant Kaepernick, bien d’autres se sont élevés. Le mouvement Black Lives Matter, né en 2013 à la suite des violences policières à l’égard des Noirs, en a poussé plus d’un à sortir de l’ombre. En 2014 par exemple, plusieurs footballeurs des Los Angeles Rams étaient entrés sur le terrain en mimant le slogan «Hands up, don’t shoot» (mains levées, ne tirez pas). Ce slogan trouve ses origines dans la mort du jeune Michael Brown, tué par la police de Ferguson quelques mois plus tôt alors qu’il avait les mains en l’air. Plusieurs sportifs de renom ont aussi affiché leur militantisme, comme la joueuse de tennis Serena Williams, ou les basketteurs LeBron James, Stephen Curry…
Bien avant eux, il y a eu les athlètes Tommie Smith et John Carlos: aux Jeux olympiques de Mexico en 1968, ils sont entrés dans la légende pour avoir levé leur poing ganté contre la ségrégation raciale. Ont-ils lancé le mouvement? «Il n’y a pas un réel point de départ. Avant Smith et Carlos, il y en a eu bien d’autres. Comme Jackie Robinson, le premier joueur noir à avoir intégré la ligue majeure de baseball», explique Doug Glanville, enseignant à l’Université de Yale, où il donne un cours intitulé «Athlètes, activisme, politique et médias».
Le chemin a été long pour ces athlètes. Quelle a été l’évolution qui leur a permis d’afficher cette confiance en eux autant que leurs convictions?
Doug Glanville: Il ne s’agit pas d’une progression linéaire. Bien que ces sportifs aient toujours eu une voix unique à faire valoir, ils sont aussi le reflet de l’époque dans laquelle ils vivent. De nos jours, il est impossible d’ignorer l’impact de la technologie et le raccourcissement du temps. L’information circule librement et rapidement, et, pour la première fois, les incidents qui déclenchent des troubles sont enregistrés sur vidéo pour que le monde entier puisse les voir. La petite agression, les formes les plus subtiles du racisme, ou la répression se vit dans un contexte quotidien, souvent indiscutable dans sa brutalité. Il est donc difficile de rester silencieux.
Pourquoi les athlètes noirs américains se montrent plus revendicatifs que les athlètes de couleur en Europe ou ailleurs?
Je ne connais pas suffisamment les subtilités de l’Europe à cet égard, mais en abordant ouvertement la question de l’inégalité, vous devez avoir foi en la possibilité de changer les choses. Les droits des Afro-Américains ont été progressifs. Ils se sont battus à chaque étape du processus, parfois littéralement, souvent devant les tribunaux ou l’opinion publique. Lorsque le ton est donné, et que les générations suivantes le reprennent, il continue d’être une approche viable pour un avenir meilleur.
Vous n’évoquez pas l’esclavage. L’héritage laissé par ce lourd passé n’a-t-il pas joué un rôle?
Bien sûr. L’esclavage est la base de référence qui a établi des inégalités flagrantes. Avec cette histoire et les générations qui se sont battues pour chaque centimètre carré, il est logique qu’un peuple qui a enduré de telles épreuves ait une sensibilité et une conscience élevées pour la justice et l’égalité. Et les athlètes sont forcément au centre d’une grande partie de cette prise de conscience, car à un haut niveau, ils sont au centre de l’objectif de la caméra.
Vous êtes un ex-joueur de baseball professionnel. Avez-vous déjà été poussé à vous élever contre des inégalités?
Je regarde en arrière et je me demande comment j’aurais géré ma carrière si elle avait commencé aujourd’hui. C’était différent il y a 15 ou 20 ans. L’accès illimité n’existait pas avec les médias sociaux. J’ai travaillé avec de nombreux organismes de bienfaisance et j’ai essayé d’aider mes collectivités par les voies traditionnelles. Principalement dans le cadre des structures existantes. Je pense aussi qu’à l’époque, les médias posaient des questions différentes. Il n’y avait pas autant d’intérêt pour les opinions des athlètes sur les sujets de société.
Pouvez-vous imaginer qu’un jour, ces athlètes cessent de protester?
Je ne peux pas imaginer un jour de silence. Il a fallu beaucoup de temps pour qu’ils deviennent ce qu’ils sont aujourd’hui. Et ils sont conscients que leur voix ou leurs agissements restent très importants. S’il existe des signes d’amélioration, il reste encore de nombreux problèmes à régler.
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