Logo

Société

Renouer avec l’expérience de la vie

Notre société moderne ne fait-elle pas notre malheur, en cherchant à tout contrôler? Interview

Nous ne manquons pas de connexions, juste de connexions «résonnantes» d’après le philosophe.

 Gilles Labarthe

Gilles Labarthe

24 février 2020 à 13:50

Philosophie » Les vacances d’hiver touchent à leur fin, la neige tant attendue n’était pas au rendez-vous. Le réchauffement climatique menace, on se souvient soudain que notre planète est fragile. «Vous rappelez-vous encore cet hiver de votre enfance où vous avez vu pour la première fois la neige tomber? C’était comme l’irruption d’une autre réalité. Quelque chose de farouche, de rare qui vient nous visiter, comme un cadeau inattendu.» Ainsi s’ouvre le dernier ouvrage du philosophe et sociologue allemand Hartmut Rosa. Le professeur de l’Université Friedrich-Schiller d’Iéna, ville industrielle proche de Weimar, se consacre depuis des années à mieux observer et penser la modernité. Le regard qu’il porte sur notre société s’est d’abord attaché au thème de l’accélération, que nous subissons dans tous les domaines. Son dernier ouvrage excelle à identifier une autre source de malheur…

Le titre original de votre ouvrage est «Unverfügbarkeit», soit «Indisponibilité». Quelle est l’origine de votre réflexion?

Hartmut Rosa: J’ai commencé à réfléchir sur l’indisponibilité lorsque j’ai compris que nos sociétés étaient confrontées à un profond paradoxe, d’ordre psychologique mais aussi politique. D’un côté, nous faisons tout notre possible pour nous assurer que les choses soient disponibles en tout temps, et a priori le fait d’y parvenir nous rend heureux. Nous fabriquons de la neige artificielle ou nous nous payons des vacances de ski «100% neige garantie ou remboursées». Mais ensuite, nous prenons conscience que ce que nous rendons totalement prévisible et contrôlable perd de son attrait. Les enfants sont enchantés lorsque tombe soudain la première neige: quand elle arrive d’elle-même, pas quand elle sort d’un canon.

Sur le plan de la politique ou de la bureaucratie, nous tentons aussi de rendre chaque processus complètement contrôlable, efficace, responsable, réglé par des lois, couvert par des assurances… Puis, nous constatons que cette manière de faire tue l’essence même de ce qui fait la vie sociale.

Et votre principale hypothèse?

Nous n’aimons vraiment et profondément que les personnes, les situations et les choses qui échappent aux capacités de contrôle total, qui abritent une part d’«indisponibilité». La vérité est que, contrairement à toutes nos tentatives de façonner et de sauvegarder un monde rendu totalement prévisible, nous ne pouvons tout simplement pas contrôler nos vies. Ni individuellement, ni politiquement, ni financièrement, ni écologiquement. Et nos tentatives de vouloir tout rendre complètement disponible, efficace, prévisible, fiable… créent un monde mort, un monde qui devient silencieux.

«Les choses que nous maîtrisons totalement ne nous parlent plus, elles se «refroidissent», ne résonnent plus avec nous.»

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus