Les oubliés de la révolution
L’article en ligne – Critique BD » Le Kosovare Gani Jakupi débarque dans les librairies avec un roman graphique historique de 200 pages, synthèse de douze années de recherches. C’est ce qu’il fallait pour exhumer une figure oubliée : William Morgan, dit El Commandante Yankee.
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Yvan Pierri
28 mai 2019 à 15:17
C’est un roman graphique-fleuve bien touffu que propose le bédéiste et jazzman kosovare Gani Jakupi. Avec derrière lui, douze années de recherches assidues, de témoignages inédits et de rencontres avec les acteurs du récit, il se propose de raconter une histoire alternative de la révolution cubaine au travers du parcours de l’un de ses héros oubliés : William Alexander Morgan.
En effet, El Commandante Yankee narre en 200 pages les trois années cubaines du seul commandant révolutionnaire américain de la révolution castriste. On navigue ainsi de ses débuts de maquisards épris de liberté dans la guérilla aujourd’hui oubliée du Segundo Frente à la fin de sa vie impactée par les jeux de pouvoirs du gouvernement révolutionnaire, en passant par son ascension dans la hiérarchie militaire et son amitié avec Aloy Menoyo, son chef qui, espagnol de son état, partageait avec lui son statut d’étranger et son amour de Cuba.
Car El Commandante Yankee est une bd qui redistribue les cartes. Elle dresse un tableau extrêmement nuancé de la révolution et montre à quel point ses acteurs peuvent être en désaccord idéologique, parfois jusqu’à la destruction mutuelle. L’auteur raconte les conflits internes d’un groupe aussi fragile que puissant, constamment sous tension et motivé par des intérêts divergents. Il fait la peinture des délires égotistes pouvant gangréner les plus nobles intentions, n’épargnant personne, allant jusqu’à égratigné l’image du sacro-saint Che ! Une vision complexe, refusant tout manichéisme en hommage à la contribution et à l’intégrité oubliée du Segundo Frente, guérilla indispensable à l’avènement de la prise de l’île mais aujourd’hui presque totalement tombée dans l’oubli.
L’auteur, s’étant déjà essayé à l’exercice du biopic avec le Roi Invisible, autre figure délaissée des livres d’histoire, gratifie le lecteur de son admirable travail de synthèse. Bien que ce dernier puisse paraître parfois un peu confus, un excellent résumé de la situation et de ses enjeux idéologiques et géopolitiques est ici dépeint. Le tout avec une rigueur historique que seules les exigences narratives viennent perturber. Il faut toutefois être un peu familiarisé aux évènements survenus lors du récit car l’histoire pourra aller un peu trop vite pour qui ne serait pas un aficionado en histoire.
Le tout est servi par un dessin impressionniste, lorgnant presque du côté du fauvisme dont les couleurs éclatantes restituent parfaitement l’imaginaire tropical. Les tableaux nocturnes que compose Jakupi sont en effet souvent à tomber par terre. Cela dit, le manque de précision pourra parfois gêner le lecteur quand il s’agira de faire la différence entre les barbudos qui, il faut bien l’avouer, se ressemblent beaucoup. Des défautsqui n’impactent le plaisir de lecture que très légèrement tant la forme et le fond, à la fois didactique et divertissant, documentaire et romantique, sont les piliers d’un ouvrage historique exemplaire.
Parution le 3 mai 2019 chez Dupuis
Genre : Biographie/documentaire
Collection : Aire Libre
Age du lectorat : 15+
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