Logo

Page jeunes

Chapitre 8 – Lacrima

L’article en ligne – Nouvelle » Lacrima, ville de renom où les inventeurs laissent libre cours au génie de leur esprit, connaîtras-tu le même sort que tes sœurs ?


Kimy Dieu

Kimy Dieu

26 août 2023 à 14:23

« Gloria, ô Gloria. Pourquoi tes larmes inondent-elles les veines de ces terres ? J’entends ta peine et tes lamentations, elles me parviennent comme un cri déchirant la nuit, pareilles à l’écho d’une promesse à laquelle on t’a arrachée. La folie règne dans ton esprit. Que vois-tu ? Que vois-tu ? La brume plane encore dans le dédale de ton âme, mais dis-moi, qui sera là pour la dissiper d’un revers de main ? Gloria, ma chère Gloria. Garde la tête haute, fière de ton allure, avance derrière ton masque que tu ne saurais faire tomber. Joins-toi à nous dans ce dernier festin et danse avec nous sous les notes d’or et d’argent. Abreuve donc toi dans les rivières où coule la misère, étanche ta soif derrière les miroirs de ceux qui sont las de regarder. Les temps sont durs, Gloria, mais que peux-tu y faire ? Les rideaux finiront par tomber, un jour, et dans ton dernier acte, peut-être que Justice reviendra valser au rythme de tes pas. Gloria, ma tendre Gloria. »

Le soleil venait chasser de ses premiers rayons les nuages qui le menaçaient de leur masse informe, recouvrant toujours plus le ciel d’un terne annonciateur de pluie et d’orage. Une lutte perdue d’avance pour le cercle aux boucles d’or qui devrait s’incliner face à ses ravisseurs au manteau de mercure. Les pleurs du ciel finiraient bientôt par tomber sur les rues de Lacrima, se mêlant à la boue de ses quartiers, s’infiltrant entre les briques des bâtisses, et chassant des routes les mendiants qui lorgnaient les passants d’un regard plein d’envie et de désir. D’ici là, elle aurait terminé d’arpenter les bidonvilles qui pavaient les faubourgs de la ville. Son train l’attendait, et elle ne saurait jouer de sa patience. Redoublant sa cadence, elle marcha d’un pas que des rixes et des comptes à rendre ne tarderaient pas à effacer.

Arrivée sur le quai où ronronnait doucement son train, elle passa de justesse à travers ses portes qui se refermèrent d’un claquement métallique. Plus de retour possible, du moins pour le moment. Une foule de passagers se dessinait sous ses yeux, comme un tableau qui contrastait avec celui qui s’affichait derrière les vitres du train, misérable et triste, ne demandant qu’à être vu. Des hommes et des femmes, parés de leurs plus beaux atours, chapeaux en place et costumes repassés, montres et malles accordées avec les regards soucieux de leur propriétaire, tous n’attendaient que de quitter le monde de misère qui menaçait de forcer les portes du train. Fermer les yeux sur les ténèbres pour qu’ils ne pèsent sur leur cœur était peut-être une solution que la crainte les poussait à choisir. Quoiqu’il en fût, le train siffla, comme à son habitude, et quitta le quai dans un rugissement vaporeux, avant de s’élancer sur les rails d’un nouveau décor.

Si elle pensait plonger dans ses rêveries le temps du voyage, celle-ci dut vite comprendre que les incessants flots de paroles de son voisin la pousserait à vaquer à des discussions de pure forme, mais après tout, qu’avait-elle à y perdre ?

- Vous vous rendez au Cœur de Lacrima ? dit la voix d’un homme qui la fit sursauter.
- Oui, répondit-elle brièvement. J’ai quelques affaires à régler là-bas.
- Je crains bien que nous devions faire route ensemble, plaisanta-t-il. Cela dit, je me réjouis de rentrer au bercail !
- Alors comme ça, vous êtes du coin.
- Un local, un vrai en chair et en os. J’ai grandi sur les terres de Gloria et ai fait toute ma vie dans les rues du Cœur de Lacrima. Aujourd’hui, me voici comme ingénieur parcourant le monde à la recherche des matériaux les plus subtils pour mes inventions, se félicita le jeune homme. Au vu de votre étonnement qui se peint sur votre visage, je suppose qu’il s’agit d’une première pour vous, à Lacrima, je me trompe ?
- J’ai eu quelques échos, en effet, mais jamais encore je ne l’ai vue de mes propres yeux, confia-t-elle. On dit qu’elle regorge de ressources, passionnée par la folie du progrès et de la nouveauté. Si bon nombre des inventions qui existent en ce monde viennent des terres de Gloria, Lacrima est la ville qui semble vivre dans le perpétuel futur des têtes innovantes et ingénieuses.
- Belle description, il ne manque désormais plus que votre ressenti pour la conclure. Mais une question taraude mon esprit, permettez-moi de vous la poser : d’où venez-vous ?
- De Rosefield, plus précisément, de la Capitale, déclara-t-elle. A ses mots, le visage de l’homme s’assombrit soudainement, comme si évoquer le nom de cette ville suffisait à le rendre malade. En ravalant sa salive, il put toutefois reprendre le flux de ses paroles.
- Je suis navré pour ce qui est arrivé à votre divinité, dit l’homme d’un air affligé. Un tueur de dieux est à l’aube de ses massacres, et le rencontrer en terres de Gloria serait la dernière pensée que je souhaiterais avoir. Qui serait suffisamment fort pour défier un dieu, si ce n’est un dieu lui-même ?
- Parfois, les déductions les plus simples s’avèrent être les plus correctes. Comment expliqueriez-vous que la région de Delta a également perdu sa couronne à Libripolis ? A cette question, le jeune homme ne put que se taire, s’obstinant à réfuter l’invraisemblable qui s’imposait dans son esprit.
- Si l’avenir nous réserve des surprises, il vaudra mieux s’y préparer. Tiens, voilà que nous arrivons à destination ! Avant que nous descendions, prenez ma carte. Si l’envie vous prend de venir me voir durant votre séjour à Lacrima, vous saurez à quelle adresse sonner, dit-il en lui tendant le bout de papier. J’espère tout de même vous revoir, ma chère…
- Aelna, c’est mon nom, dit-elle.
- Alors à bientôt, Aelna.

Sur ces mots, les portes du train s’ouvrirent sur un quai bondé de têtes courant en tous sens. En sortant, la jeune tavernière fut happée par l’immensité de la ville, celle-ci les voyaient, ces hautes tours qui se détachaient d’un ciel dont les pleurs demeuraient désormais loin derrière elle. Pourtant, l’écho du malheur qui avait pénétré dans le cœur des gens résonnait encore à ses oreilles, comme une détresse qu’elle voyait se réverbérer sur ces édifices qui touchaient les étoiles. Combien de temps encore ces derniers trôneraient-ils de leur gigantisme ? Si Aelna tenait à recoller les morceaux qui avaient été brisés, à Libripolis comme à la Capitale après le passage de la tempête, mieux valait en effet qu’elle s’y attarde le plus vite…

Ce contenu provient de notre ancien site web. Il est possible que sa mise en page ne soit pas idéale. En savoir plus