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Chapitre 5 – Rencontre

Nouvelle – Propice aux songes et aux réflexions des esprits les plus tortueux, la nuit observe toujours de ses milliers d’yeux les rencontres de ce bas monde…


Kimy Dieu

Kimy Dieu

27 juin 2023 à 18:32

L’article en ligne » Morphée n’était pas parvenu à le rendre amant du sommeil. Ses pas martelaient les dalles des rues qui sillonnaient la Capitale. Il ne savait pas où ces derniers le mèneraient, ni jusqu’où ces derniers le porteraient, mais cela lui importait peu. « Marche, petit frère. Et si tu ne sais plus où tu vas, marche », lui avait un jour dit Daxe. Alors, il marcha. Il marcha à travers les avenues et les boulevards, laissa son ombre glisser sur les devantures des bars et des cafés, et se perdit dans le dédale de ses pensées ; son esprit reconstruisant silencieusement la vie qui avait animé la cité quelques heures plus tôt. L’écho de leurs rires, le chant de leurs pleurs, le brouhaha incessant de leur insouciance, il aimait les entendre, les écouter, et leur donner une seconde chance de se repeindre dans l’esprit d’un petit homme. Spectateur du monde, il l’avait toujours été. Observer était sa meilleure carte, même si parfois, il était fatigué de n’avoir que celle-ci à jouer…

Dans le ciel, rien que les étoiles vacillant à leur faible lueur. Au milieu du boulevard, il tourna la tête vers les cieux et l’envie lui prit de le chercher. Lui, qui s’élevait chaque nuit à travers le ciel d’ébène, lui, dont son frère lui avait tant raconté d’histoires, lui, que l’on appelait le Petit Dieu. Les mythes qui entouraient cette constellation n’avaient jamais cessé de le fasciner. Un voyageur, une déité au masque de bouffon, une blague aux yeux des régents de ce monde, Deus Minor était l’allégorie de ceux qui avaient décidé d’avancer sans l’aide du regard des dieux, ceux qui avaient décidé d’un autre chemin, d’une autre philosophie… Une philosophie que lui et son frère se plaisaient à adopter au quotidien et qu’il voulait voir continuer à battre dans le cœur des hommes. Mais ce jour-là, un dieu avait tiré sa révérence, forcé par la main d’un autre, et il savait que tôt ou tard, un autre devrait céder sa couronne, tandis que l’étau se resserrerait lentement sur les victimes impuissantes de cette lutte. Les graines de la guerre venaient d’être plantées, il ne restait plus qu’à les laisser germer, et il redoutait le moment où les arbres viendraient à pousser…

Occupé à remuer le flou de ses pensées, s’étant laissé guidé par les routes que ses pas avaient empruntées au gré de leurs caprices, il réalisa que ces derniers l’avaient amené au sommet du clocher qui dominait la Place des Anges. Rongées par les racines, vêtues d’un duvet de poussière, les planches de bois qui formaient les parois et le sol de la salle portaient les traces indéfectibles du temps. Détruites, pourries, brisées. Çà et là, des trous béants ulcéraient le plancher, soufflant à l’oreille de quiconque qui passerait à leurs côtés de se laisser porter par les ténèbres qui en tapissaient le fond. 
S’il pensait trouver en ces lieux la solitude comme seule compagne, celui-ci fut frappé d’étonnement, lorsque ses yeux se portèrent sur la figure qui se tenait là, seule, debout devant l’immense rosace brisée, telle une statue que les étoiles venaient embrasser de leurs doux rayons. La nuit recouvrait les traits de son visage encapuchonné, mais malgré le manteau qui lui bâchait le corps, il devinait derrière les coutures les formes d’une jeune femme. Le silence planait à travers la salle, mais fut soudainement balayé par la voix de la curieuse invitée.

- Une nuit inspirante, n’est-ce pas ? dit-elle. 
- Sans doute. Et que vous inspire-t-elle, dites-moi ? demanda-t-il en gravissant le petit escalier pour s’approcher d’elle.
- La rancœur, la haine, le sang. Ces lieux en sont imprégnés. 
- De sombres inspirations, alors.
- Il n’est pas à moi de juger de leur qualité. Sombres, elles le sont peut-être…
- Que jugez-vous donc ?

A cet instant, la jeune femme se tourna vers lui. Une profonde balafre traversait sa paupière droite, mais de son deuxième œil, elle plongea son regard dans le sien. Il pouvait sentir les tréfonds de son esprit se faire lire par une étrange clairvoyance. 

- Si ma maîtresse a placé ses derniers espoirs en vous, j’imagine qu’elle devait avoir ses raisons. Votre histoire ne semble connaître de fins, et il me tarde de savoir quelle carte vous incarnerez.
- Sans doute le joker, plaisanta-t-il.
- Sans doute, lui répondit-elle d’un léger sourire. J’aurais aimé continuer parler à vos côtés, hélas, il est temps pour moi de vous quitter, mais sachez que nos chemins se recroiseront, pour sûr. Après tout, les dieux savent ce qu’ils font, même le plus petit d’entre eux.

Après s’être échangé un dernier regard, la jeune femme se retourna et en quelques secondes, sa présence en ces lieux s’était effacée, le laissant seul sous les yeux de la nuit. Il aurait espéré lui demander son nom…
 

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