Sexualité conjugale. l’envers du décor
L’enquête de Jean-Claude Kaufmann débusque chez les femmes beaucoup de relations non consenties
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Véronique Châtel
15 juin 2020 à 16:15
Sociologie » Si l’on en juge par les articles «sexo» régulièrement publiés dans la presse magazine, en particulier féminine, c’est la routine qui serait l’ennemi de l’intimité conjugale. Pour vivre une sexualité harmonieuse au long cours, il suffirait d’élargir son répertoire de positions et de s’équiper d’accessoires coquins. Et si c’était plus compliqué que cela? Le sociologue Jean-Claude Kaufmann, observateur du couple depuis quelques décennies (en témoignent les titres de ses enquêtes passées Premier matin: comment naît une histoire d’amour, Agacements. Petites guerres du couple, Un lit pour deux, etc.), s’est lancé dans l’exploration de cette zone grise du couple: son intimité sexuelle. Ses conclusions pointent un non-dit difficilement imaginable dans notre société où les couples convolent généralement après avoir testé leur compatibilité sexuelle: une inégalité dans le désir et beaucoup de relations non consenties du côté des femmes.
Pourquoi avez-vous l’impression d’avoir levé un tabou?
Jean-Claude Kaufmann: J’ai recueilli la plupart des témoignages qui ont nourri mon enquête via mon blog et par échange de courrier électronique. Pour autant, de nombreuses personnes n’ont pas souhaité que je publie leur témoignage: elles avaient honte de raconter une sexualité conjugale qui ne ressemble pas à celle qui transparaît dans les médias en général. La parole sur la sexualité s’est libérée dans la société, mais elle porte sur la technique, la fréquence. Jamais sur les inégalités face au désir et les violences que cela produit.
Pourquoi cette parole ne s’exprime-t-elle pas?
Avoir moins envie de faire l’amour que leur conjoint relève souvent pour les femmes d’une faillite personnelle. Seraient-elles frigides? Anormales? Pas aussi libérées sexuellement qu’elles l’imaginent? Alors elles se forcent à accepter des relations sexuelles dont elles n’ont pas envie et quand cela se répète, elles s’enferment dans une sexualité sans désir ni plaisir.
Pourquoi la notion de consentement n’est-elle pas entrée dans la chambre à coucher conjugale?
Je me suis aperçu au cours de cette enquête que beaucoup de femmes font l’amour avec leur compagnon parce qu’elles l’aiment. Elles lui offrent leur corps pour lui faire plaisir. Elles ne lui disent pas «non pas ce soir» par souci de ne pas le blesser ou le frustrer et par peur qu’il aille voir ailleurs. Et puis, la plupart des femmes associent la contrainte sexuelle et le viol à une agression dans un parking par un inconnu, pas à une relation sexuelle avec leur conjoint dans le lit conjugal.
Comme vous l’écrivez, si les hommes étaient attentifs au langage non verbal de leur partenaire, ils pourraient comprendre quand leur corps dit «non».
Le problème est justement que les hommes ne le sont pas toujours, attentifs. J’ai bien dû me rendre à l’évidence que certains initient des relations sexuelles avec leur compagne non pas par désir d’elle mais pour assouvir une pulsion sexuelle. Alors ils se servent du corps de leur partenaire comme d’un contenant masturbatoire. Il y a aussi des hommes qui interprètent mal le langage non verbal. Il ne faut pas oublier que nous sommes encore, femmes et hommes du XXIe siècle, empêtrés dans des codes amoureux ancestraux où la tactique de l’homme est de forcer les défenses de la femme et celle de la femme de résister ou de faire semblant de résister. Résultat: beaucoup de femmes se plaignent de petites attaques nocturnes. Autrement dit, de la main baladeuse de leur conjoint qui se pose sur leur corps durant leur sommeil et qui insiste sur leurs parties génitales alors même que leur corps signifie, par un mouvement de rotation par exemple, qu’il ne se trouve pas dans les mêmes dispositions.
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