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Société

La country, cet hymne à l’espace et à la lenteur

La country a connu plusieurs «revivals» en temps de crise. Un retour aux sources, mais lesquelles?

La musique country serait l’expression de certaines valeurs, revendiquées: authenticité, sincérité, honnêteté, humanité…

Gilles Labarthe

Gilles Labarthe

16 juillet 2020 à 15:01

Musique » Qu’est-ce que les cultures, les goûts et les tendances musicales du moment peuvent nous apprendre de notre société? Bien des chercheurs universitaires planchent sur cette question, plus complexe et profonde qu’il n’y paraît. Voyez la country music, par exemple. Dans les esprits, elle évoque aussitôt une simple rengaine à trois accords jouée au coin du feu par un cow-boy mal rasé et vieillissant. Pour le costume: chapeau à large bords, chemise à carreaux et couleurs douteuses, paire de santiags ringardes. A priori, la scène colle à la définition classique et sommaire de ce genre musical que l’on trouve dans l’encyclopédie Universalis: «Née au début du XXe siècle, la country est d’abord la musique du monde rural blanc des Etats-Unis.» Elle est aussi parfois qualifiée de musique de péquenot du Sud et de l’Ouest américains…

Pourquoi et comment ce genre musical, si rudimentaire et éloigné de l’Europe au premier abord, revient-il en force depuis le début des années 2000? De nombreux festivals lui sont consacrés en Suisse, en France, en Allemagne ou en Suède. Nul besoin d’aller jusque dans les Appalaches (berceau du hillbilly, ou «musique des gars de la colline», avec cordes pincées et violon), à Nashville (autre référence incontournable, avec salles de spectacles et radios dédiées) pour l’apprécier. Ni même au Texas. De ce côté-ci de l’Atlantique, d’excellents groupes chantent aujourd’hui les vastes plaines de la Normandie, ou le lac du Bourget (voir ci-dessous).

George, what else?

Pourquoi un tel engouement? «Le point de départ de cette renaissance, c’est la bande sonore originale (BO) du film O-Brother, Where Art Thou? des frères Ethan et Joel Coen. Le film (réalisé en 2000, ndlr), inspiré de L’Odyssée, met en scène, dans les Etats-Unis des années 1930, les aventures de trois détenus blancs qui deviennent des stars de la musique country.» Voilà une des explications avancées par Claude Chastagner chercheur à l’Université de Montpellier. Ce spécialiste français de la société et de la culture anglophones évoque l’effet contagieux des reprises d’anthologie accompagnant ce film, parmi lesquelles le «hit» I Am a Man of Constant Sorrow, interprété par l’acteur vedette George Clooney, avec de fortes mimiques… Il a fait des millions de vues sur la chaîne YouTube. Aux sources, cette chanson daterait de 1913, serait d’origine anglaise et aurait été composée par un violoniste du Kentucky. Elle a inspiré les plus grands noms du folk song, comme Joan Baez ou Bob Dylan…

Claude Chastagner revient aussi sur d’autres dimensions que l’on a tendance à oublier: cette country music-là, volontiers intimiste et acoustique, est beaucoup plus riche, métissée et ouverte à de multiples influences que l’image formatée voire réactionnaire construite par les chaînes de radios, l’industrie du disque, les majors nord-américaines et le cinéma de Hollywood, diffusant des cow-boy songs fadasses et prévisibles. La confusion entre les deux remonte en fait aux années 1940, avec la commercialisation massive aux Etats-Unis d’une country «figée dans ses bottes», labellisée et adaptée à la classe ouvrière: elle «affiche volontiers des positions conservatrices, alors que paradoxalement, le milieu d’où elle a jailli (la mine ou la ferme) était politiquement et socialement plus ouvert». Les récupérations politiques, notamment par les républicains mais aussi les mouvements racistes de tous bords, ont accentué le clivage.

La country a déjà traversé plusieurs renaissances, toujours en période de crise

Rappelons que sous le terme générique de country, on retrouve des morceaux dérivés d’airs et chants traditionnels européens: irlandais, écossais et d’influence celtique, héritage des premiers colons, partis du Vieux-Continent pour fuir la misère dans leurs pays d’origine. Historiens et musicologues ont identifié par endroits, dans ce vaste répertoire sans cesse rebrassé et enrichi, les influences de la polka (une importante main-d’œuvre polonaise a travaillé sur place dans les mines de charbon) ou de yodel, héritage d’expatriés suisses du XIXe siècle, venus tenter l’aventure jusque dans les chaînes montagneuses de l’Ouest. Ajoutons à cela que l’instrument-vedette de la country, le banjo (souvent remplacé au début du XXe siècle par la guitare hispanique, via Cuba) est une adaptation d’un instrument à cordes africain.

2020, renaissance?

Loin des clichés, cette forme très ouverte de la country music gagne à être mieux connue. Claude Chastagner souligne «l’aspect artisanal et acoustique, familial ou communautaire de ces musiques (certains parlent d’ailleurs de community feelings à leur écoute). De telles caractéristiques sont censées être représentatives d’une attitude anticommerciale, ce qui est connoté positivement.» Franche, sans effets spéciaux, elle est la musique de la simplicité et du dépouillement. Sa forme serait l’expression de certaines valeurs, revendiquées: authenticité, sincérité, honnêteté, humanité…

On comprend mieux pourquoi ce genre musical, apaisant et orienté vers des valeurs humanistes, spirituelles, le retour aux sources… peut s’avérer réconfortant dans les périodes troubles. Dès sa sortie, la BO du film O’Brother a vite explosé les records de vente aux Etats-Unis, s’écoulant à plus de sept millions d’exemplaires. Le succès s’est ensuite confirmé, révélant «une quête de repères et de valeurs que les événements du 11 septembre 2001 n’ont pu qu’intensifier», observe Claude Chastagner. Ses analyses rejoignent celles d’autres experts. La country a déjà traversé plusieurs renaissances, toujours en période de crise: celle des années 1930, après la Grande Dépression; les années 1950, «face à la montée de l’urbanisation et de l’industrialisation, aux nouvelles orientations en politique étrangère et à la traque de la différence et de la dissidence à l’intérieur du pays»; les années 1970, de contestation face à la guerre du Vietnam et à la «droite dure»…

Et aujourd’hui? 2020 pourrait bien marquer une énième renaissance de la country music. Les sociologues nous diront s’il faut voir là aussi une nouvelle réaction à la présidence erratique de Donald Trump et à la pandémie qui s’est abattue sur les Etats-Unis – comme sur l’Europe.

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