Méditerranée » Les 28'000 migrants morts ces dix dernières années en Méditerranée ne sont que les dernières victimes d’un drame humain interminable, qui hante nos civilisations depuis des millénaires. Dès l’Antiquité, les bannissements, exils forcés et autres exodes de masse n’ont cessé de se répéter, traumatisant des peuples entiers mais façonnant aussi profondément nos sociétés et nos cultures. L’historien et maître de conférences Mathieu Grenet, qui vient de publier, avec son confrère Guillaume Calafat, une remarquable étude sur les mobilités humaines de 1492 à 1750 en Méditerranée1, évoque pour nous ce passé méconnu de la migration.
L’année 1492, qui marque le début des temps modernes, renvoie en général à la découverte de l’Amérique. Mais c’est aussi l’année de l’expulsion des Juifs d’Espagne. Dans quel contexte cette migration forcée a-t-elle eu lieu?
Mathieu Grenet: 1492 se trouve à la conjoncture de trois événements historiques. C’est, avec Christophe Colomb, l’ouverture vers les Amériques, un point de bascule vers un futur déploiement impérial et colonial. C’est aussi la fin de la conquête du dernier royaume musulman dans la péninsule hispanique, le royaume de Grenade: l’Espagne redevient alors entièrement chrétienne. C’est enfin l’expulsion d’environ 120'000 Juifs d’Espagne, décidée par les rois catholiques Isabelle de Castille et Ferdinand d’Aragon comme une manière d’unifier religieusement le royaume. Les quelque 200 000 Juifs convertis au christianisme, surnommés péjorativement «marranes» (porcs), sont bientôt visés. Ce processus est également répliqué avec les musulmans, d’abord forcés à se convertir (les «morisques»), puis expulsés en 1609.