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Sacré nom de lieu

Les Enfers, terre d’accueil

Durant la Seconde Guerre mondiale, la localité a offert un toit aux réfugiés, majoritairement des Polonais

Le nom des Enfers viendrait d’une erreur de traduction de l’allemand.

 Photos Anne-Camille Vaucher  Textes Alexandre Wälti

Photos Anne-Camille Vaucher Textes Alexandre Wälti

22 juillet 2022 à 04:01

Sacré nom de lieu (5/6) » Découvrez cet été six endroits dont le nom prête à sourire. Cinquième halte dans le Jura.

Les habitants de la commune jurassienne vous le diront: «Les Enfers, c’est le paradis; il n’y a qu’à voir comme c’est beau.» Au creux d’une cuvette de prairies et de fermes datant parfois du XVIIe siècle, entre Montfaucon et les virages du Doubs, la localité de 150 âmes, derrière ses airs de paysage idyllique des Franches-Montagnes, a connu une histoire riche. L’altitude se fait sentir, même à la fin juin, avec une bise fraîche et des hennissements de chevaux au loin.

La commune appartenait à la Principauté épiscopale de Bâle durant plusieurs siècles, et son nom viendrait donc d’une erreur de traduction de l’allemand vers le français de la part de paroissiens germanophones. Voulant appeler le village «L’Envers (de Montfaucon)», ils auraient fourché sur une lettre et auraient gardé «L’Enfer».

Un incendie à l’origine

«Je préfère la version populaire à l’origine du nom de ma commune», insiste en souriant Bernard Brahier, agriculteur et ancien maire. Le natif des Enfers précise: «Au moment du défrichement des Franches-Montagnes au XIVe siècle, notre tourbière a pris feu comme jamais auparavant. Dans le village, on raconte que l’incendie a duré plusieurs semaines puisque la tourbe enflamme les galeries souterraines qui l’entourent ou la traversent. Elle peut ainsi brûler la végétation par les racines. A l’époque, on voyait les flammes loin à la ronde.» De là, Les Enfers.

La présence des étrangers a influencé et forgé le destin du village jusqu’au cœur de ses terres agricoles et de la tourbière protégée d’importance nationale, revitalisée en 2010. «Une entreprise a exploité la zone et déplacé les cubes de tourbe à l’aide d’un train vers Bâle pour servir de combustible de chauffage durant la Seconde Guerre mondiale», explique Marie-Thérèse Poupon, enseignante à la retraite et mémoire de la localité selon la mairie. Elle poursuit: «Les femmes creusaient la tourbe et les hommes la chargeaient, avec une pelle sortant déjà des blocs d’une grandeur très précise, sur un wagon d’un ponton au bord de la zone d’extraction. Certains habitants possédaient par ailleurs une parcelle privée qu’ils exploitaient.»

Accueil de réfugiés

A la même époque, comme l’a étudié l’historien Claude Hauser dans son ouvrage Les réfugiés aux frontières jurassiennes, plusieurs camps d’internement et de travail pour les civils apparaissent dans l’Arc jurassien. L’un d’entre eux est ainsi ouvert sur le territoire des Enfers en 1943, accueillant des réfugiés hollandais, italiens, français mais majoritairement des Polonais. Ces derniers construisent des routes dans et autour de la localité. «Ils ont drainé la majorité des terres agricoles, encore cultivées à ce jour. Ce travail est d’autant plus admirable que les terres tourbées sont extrêmement difficiles à rendre fertiles», souligne Bernard Brahier, ayant entendu parler de cette période par son grand-père, également paysan.

De belles histoires naissent de la proximité entre les réfugiés et la population locale. Alors domicilié dans la commune, Robert Péquignot entretient de bons contacts avec des internés français du camp. Un dénommé Leroy était notamment en contact avec la résistance sur le territoire occupé par les Allemands. «Lors d’un parachutage britannique destiné à ce groupe de résistants, des armes tombèrent par erreur sur territoire suisse, et furent récupérées par Robert Péquignot et son frère, qui les cachèrent aux alentours de leur habitation, avec l’aide de leur cousin de Montfaucon, Germain Maillard», rapporte Claude Hauser.

«J’ai entendu parler d’un médecin, interné dans le camp. Il soignait autant les réfugiés que les habitants du village», se souvient aussi Marie-Thérèse Poupon alors que les nappes de brume longent les forêts des crêtes alentour. Il s’agit du docteur Israël Teitel, «Juif originaire de Turin», lit-on dans l’ouvrage de l’historien. Soignée par le médecin, Louise Brahier, habitante de la localité à l’époque, tisse une amitié forte avec le scientifique au point de l’accueillir avec sa femme dans sa maison jusqu’à la fin de guerre. La générosité de Madame Brahier est même allée jusqu’à accueillir le neveu du docteur. «Certains anciens internés sont revenus aux Enfers par la suite et une plaque leur rend hommage à l’église de Montfaucon», complète Bernard Brahier.

Marie-Thérèse Poupon raconte enfin une dernière anecdote surprenante sur le village: la cloche de l’oratoire. «Au moment du Kulturkampf, en 1870, les protestants voulaient s’imposer face aux catholiques. Ils fondaient les cloches pour fabriquer des armes. Celle de l’oratoire a été enterrée dans la région, installée sur l’école de Montfaucon et surplombe à présent Les Enfers.»

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