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Sacré nom de lieu

A Fribourg, la mauvaise traduction qui a donné naissance à la rue des Epouses

La rue des Epouses et son arche, en ville de Fribourg, résultent d’une déformation de traduction

La rue des Epouses et son arche se sont imposées comme une curiosité de la ville de Fribourg.

Émile Perrin

Émile Perrin

20 juillet 2022 à 04:01

Sacré nom de lieu (3/6) » Découvrez cet été six endroits dont le nom prête à sourire. Troisième halte à Fribourg, vu par un regard extérieur.

Fribourg, sa cathédrale Saint-Nicolas, sa Grand-Fontaine, sa Basse-Ville et, si on pousse un peu, ses clubs de hockey et de basket. Mais Fribourg, c’est aussi son lot de curiosités, parmi elles l’Espace Jean Tinguely - Niki de Saint Phalle, le Musée Gutenberg, le pont de Zähringen ou les gorges du Gottéron.

Au milieu de tout cela, lovée dans le centre historique, au cœur du quartier du Bourg, se trouve la rue des Epouses. Une jolie petite ruelle étroite qui relie la Grand-Rue à la cathédrale. Un passage où le quidam est forcément interpellé par une arche qui surplombe le bitume. Avec un slogan qui laisse libre cours à toutes les interprétations: «Voici la rue des Epouses fidèles et aussi le coin des maris modèles», peut-on y lire.

Légende urbaine

Une curiosité en soi. Mais ce petit passage ne serait pas ce qu’il est devenu sans un joli enchaînement de bizarreries qui le rendent si spécial. «Il existe de nombreuses théories», entame l’historien Jean-Pierre Dorand. La plus célèbre et la plus répandue veut que les époux passaient par là entre l’état civil et le mariage dans le plus célèbre édifice fribourgeois. Une théorie que celui qui a été député durant 15 ans s’empresse de démonter. «La rue des Epouses se nomme Hochzeitergasse en allemand, littéralement la rue des époux. Ce nom aurait été utilisé en 1733, alors que le mariage civil n’existait pas. En outre, plus tard, la Chancellerie se trouvait de l’autre côté de la cathédrale.» Comprenez que l’on est dès lors dans ce qui peut être appelé une légende urbaine.

Point d’épouses à la rue du même nom? Comment est-ce possible? Jean-Pierre Dorand nous livre l’explication la plus plausible. «Cette rue a également été appelée Besengasse, de l’allemand «balai». Elle est l’une des plus anciennes de la ville, dans un quartier où l’on trouvait aussi celle des bouchers, des épiciers, des selliers ou encore des fabricants de chandelles. Dès lors, on peut supposer qu’un fabricant de balais pouvait tenir commerce dans le secteur.»

Pour compliquer la tâche sur le chemin de la vérité, les rues n’ont pas toujours été nommées. «C’est une pratique qui requérait d’avoir des plans et l’établissement d’un cadastre. Cela ne s’est fait de manière systématique qu’à partir du XIXe siècle», explique Leonardo Broillet, archiviste de la ville de Fribourg.

Dès lors, il faut s’en remettre à des suppositions. Certaines plus solides que d’autres. Et c’est là que l’histoire devient cocasse. «Traduit de l’allemand, la rue a été baptisée rue des Epousses», précise Jean-Pierre Dorand. Un «S» se serait égaré au fil du temps pour adoucir la prononciation. «Comme tout est dans le même périmètre, si cela s’était appelé la rue du Balai, je doute que certains mariés auraient effectué un petit cortège pour passer par là», sourit l’historien.

Il demeure que la rue des Epouses tient une place de choix dans l’histoire de la ville. «Elle a une valeur hautement symbolique, dans la mesure où le chemin le plus court entre les pouvoirs politiques (aujourd’hui situés à la place de l’Hôtel-de-Ville, ndlr) et religieux (à la rue des Chanoines, derrière la cathédrale, ndlr) passait par là. Elle a également vu naître le père Girard», relève Jean-Pierre Dorand.

Grâce au Tir fédéral

Importante et historique, l’actuelle rue des Epouses doit toutefois son aura à cette fameuse arche, qui elle aussi a une histoire peu commune. Passe encore que la rue soit celle des épouses, mais qu’elles soient fidèles à leurs maris modèles relève du monde idéal. Et d’une histoire nettement moins glamour. Alors que Fribourg accueille la Fête fédérale de tir, en 1934, la population est invitée à décorer la ville. Ainsi, un restaurateur, deux ferronniers et un peintre unissent leurs talents et leurs idées pour agrémenter la rue de ce qui fait aujourd’hui sa marque de fabrique. «La création de ce panneau, avec son message idéologique et les tenues d’apparat portées par les personnages, est un coup de génie», relève Jean-Pierre Dorand.

Un génie qui a aussi sa version allemande. «Hüt! Freu di Hochzitter, du guete Ma, Morn het am End D’frau scho dini Hose a», est-il écrit au dos de l’arche. Ce que l’on pourrait traduire par: «Homme, réjouis-toi du mariage. Demain, ce sera ta femme qui portera le pantalon!» Une version qui ne manque pas de faire réagir. «C’est toujours mon mari qui porte le pantalon, mais c’est moi qui décide lequel, a blagué un jour une passante», rigole le peintre Karl Inglin, qui tient un atelier sous l’arche depuis 22 ans.

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