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Sacré nom de lieu

Et surtout bonne santé

Bonne Année est un hameau situé sur la commune chablaisienne de Vionnaz (VS)

Selon la présidente de Vionnaz, Valérie Bressoud Guérin, quelques photos du panneau routier du hameau se trouvent dans les médias autour de Nouvel An.

 Dan Steiner

Dan Steiner

17 juillet 2022 à 22:11

Sacré nom de lieu (1/6) » Découvrez cet été six endroits dont le nom prête à sourire. Premier arrêt dans le Chablais valaisan, à Bonne Année.

Chaque matin, Madame se réveille avec le même plaisir. «Mais j’ai finalement arrêté de prendre des photos.» Flamboyantes en soirée, les montagnes surplombant la plaine du Rhône se prêtent en effet parfaitement à l’exercice, depuis ses fenêtres ou son jardin, qu’elle entretenait avec amour au moment de notre venue impromptue. Ce jour-là, c’est le 29 juin. A un près, le plus éloigné possible de la Saint-Sylvestre. Le rapport? De ce hameau, composé de seulement deux bâtisses, quoique imposantes, on aperçoit aussi l’extrémité est du Léman et le château de Chillon: Bonne Année.

Notre interlocutrice habite l’endroit depuis près de 30 ans. D’abord en résidence secondaire, désormais à l’année. Mais s’il est un cliché qu’elle n’a jamais pris, c’est bien celui du panneau blanc indiquant l’entrée dans la localité, quelques lacets en dessus de Vionnaz, commune de quelque 2800 âmes et 2100 ha à laquelle elle appartient. Sans surprise, le selfie de Nouvel-An est une sorte de must.

« Ce nom justifie de se la souhaiter durant 365 jours. »

Valérie Bressoud Guérin, présidente de Vionnaz

Inutile toutefois d’imaginer que les véhicules étrangers grimpant la vallée s’apprêtent tous à faire une halte à cet endroit. La route mène à Torgon, station comparable à celle de Morgins. Les deux domaines font partie des Portes du Soleil. Les autorités locales n’ont d’ailleurs jamais considéré tirer profit de cette curiosité nominative à des fins touristiques. «On trouve bien quelques photos sur les réseaux sociaux ou dans les médias, autour de la Saint-Sylvestre. Rien n’a cependant jamais émergé», révèle Valérie Bressoud Guérin.

Juridique ou poétique

La présidente de Vionnaz estime toutefois qu’un filon pourrait être exploité, notant que l’Office du tourisme de Torgon, réorganisé depuis peu, a la volonté de promouvoir un tourisme quatre saisons. Bonne Année, nouvelle étape du Grand Tour? Pas certain, mais le sujet mérite réflexion.

Bonne Année, Bonne-Année? La présidente a tendance à se passer du trait d’union. Mais le site internet de sa commune le mentionne. Bonaney, Bonané, Bonnané, Banané? L’origine du nom, inscrit au cadastre en 1866 déjà, découlerait du terme «ban». Historien et enseignant à la retraite au collège de l’abbaye de Saint-Maurice, Guy Veuthey estime que la toponymie découle de «la région des bans, que le seigneur avait à disposition pour son armée». Ou est-ce que, comme le prétend l’ancien habitant du lieu Claude Mariaux, père de l’écrivaine Pierrette Ecœur, ce nom tombe comme un fruit mûr grâce à l’exposition des coteaux, rendant pommes ou framboises succulentes? «Toutes les années seraient donc de bonnes années», cite Michel Neuhaus, président de la société Sauvegarde du patrimoine de Vionnaz. Valérie Bressoud Guérin n’a toutefois pas connaissance d’une célèbre AOP qui en découlerait. Un autre filon à exploiter?

Pas plus sérieusement, les habitants ont évidemment quelques anecdotes en stock. Ils sont une douzaine à vivre là-haut. Une petite sœur pour les deux enfants d’Amélie et Thierry Vannay est même en route et fera augmenter la population autour de la mi-septembre. «Nous avons acheté en 2020. C’est joli et calme, surtout moins bruyant qu’en bordure de route, à Vionnaz, où nous habitions jusque-là», explique la maman. «A Nouvel-An, nous voulions faire une photo. Il n’était pas très difficile de trouver quelqu’un capable de la prendre pour nous.» Mais tout le monde, même les gens d’Aigle, n’a pas eu vent de l’existence du hameau, s’étonne-t-elle.

Gypse et gibier

Dans son jardin, la première de nos deux interlocutrices se rappelle, elle, avoir perdu une cliente pour la location de son logement. Au début d’un mois de janvier, elle avait une fois reçu un téléphone en lien avec son annonce. «J’ai pris l’appel de cette personne, très intéressée, alors que je me trouvais dans un bus bruyant. Elle m’a demandé où se trouvait l’appartement. J’ai répondu ‹Bonne Année›, elle m’a dit: «Merci, à vous aussi.» Après quelques échanges confus, elle se fait raccrocher au nez. «Mais j’ai pu le louer peu de temps après. D’ailleurs, si la personne se reconnaît, je lui transmets mes excuses.»

La maison qu’elle habite est la première à avoir été construite (voir la photo ci-dessus). Toujours selon Guy Veuthey, lui aussi membre de la société Sauvegarde du patrimoine de Vionnaz, elle aurait fait usage de pied-à-terre pour le seigneur du château de Chillon, qui montait chasser dans les forêts alentour, riches en gibier. Pour sûr, elle a servi aux employés des mines de charbon, mais surtout de gypse. Ce dernier était descendu à l’aide de luges ou d’engins à roues tirés par un cheval ou un mulet, puis transformé à Vionnaz en ciment et en engrais. Acheminés ensuite jusqu’au port du Bouveret, on les envoyait alors vers Vaud, Genève et la France.

Valérie Bressoud Guérin salue la décision des autorités de l’époque d’avoir transformé le nom du hameau en ce qu’il est désormais. «Cela met un peu de baume au cœur. Il justifie de se la souhaiter durant 365 jours.» Et surtout une bonne santé.

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