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Évasion

Augustin Rebetez, l’art et la frayeur

Artiste visuel exposé dans le monde entier, le Jurassien nous guide dans les gorges de la Scheulte

Augustin Rebetez, profondément inspiré par le coin de pays qui l’a vu naître.

 Catherine Favre

Catherine Favre

28 juillet 2021 à 04:01

Sur les pas (3/6) » Pour ce troisième volet consacré à des lieux inspirants, le trentenaire nous emmène dans le sauvage Val Terbi, au «fin fond du Jura».

S’il vous plaît, évitez de qualifier Augustin Rebetez «d’artiste touche à tout». «C’est vrai, je fais beaucoup de choses différentes, mais ça fait un peu… qui met la main aux fesses», lâche le Jurassien, 34 ans, une posture d’homme «à qui on ne la fait pas» et un parler brut de décoffrage emballé dans un imperceptible sourire.

Entre art brut, art tribal et «tout ce que vous voulez», cet artiste total passe de la photographie à la peinture, de la sculpture à la vidéo. Le garçon réalise aussi des petits films rigolos à la Buster Keaton (M. Skeleton) et des performances théâtrales décoiffantes (Voodoo Sandwich avec le contorsionniste Niklas Blomberg au théâtre de Vidy, en janvier 2020).

Il chante des parodies d’un rap déglingué avec ses copains du groupe Gängstgäng, enregistre sur de bonnes vieilles K7, vient de fonder une petite maison d’édition de livres artisanaux et de projets musicaux, Label Rapace.

«Manifeste primitif»

Sans rien concéder à ses délires poétiques, Augustin Rebetez a décroché le prix Alfred Latour pour réaliser un livre d’art somptueux aux Editions Actes Sud: «un manifeste primitif» d’images et de textes aux accents crépusculaires, macabres, joyeusement carnavalesques. Son titre, Le cœur entre les dents, est son credo d’artiste.

Pour notre rencontre, direction les gorges de la Scheulte, au fin fond du Val Terbi, «un coin ultrapaumé, encore un peu sauvage», nous avertit l’artiste. Il nous reçoit non loin de là, dans son antre de Mervelier, une ferme modernisée au bord de la rivière.

On est à 15 minutes en voiture de Delémont. Mais l’ancienne route militaire, qui serpente entre des parois abruptes et la rivière jusqu’au col de la Scheulte, semble gravée dans une Suisse d’avant-guerre. A l’exception de quelques motards en goguette, l’axe demeure peu fréquenté. Passé le col, la route redescend sur l’enclave soleuroise de Balsthal et la campagne bâloise. Le hameau de La Scheulte, lui, est bernois. Et sur la commune voisine, Mervelier, le drapeau jurassien flotte au vent.

«Ici, on est en terre sainte», sourit l’artiste avec une pointe d’ironie. Allusion à l’histoire du Val Terbi où le clergé de l’ancien évêché de Bâle trouva refuge au temps de la Terreur. «J’aime ce lieu, j’y suis né et j’y reviens toujours», glisse-t-il doucement, amoureusement. «Les gens n’ont pas tellement de raisons de passer par ici. A Mervelier, on est tout au bout de la vallée, c’est comme si on arrive au coin d’une pièce, le monde s’arrête», ajoute notre hôte qui ne se déplace qu’en transports publics. Un exploit pour un artiste très sollicité.

A 34 ans, il a déjà beaucoup exposé en Suisse et à l’étranger, de la Biennale de Sydney aux Rencontres photographiques d’Arles, de Sao Paulo à Shenzhen en Chine, en passant par le Musée des beaux-arts du Locle. Un lieu qui restera longtemps hanté par ses oiseaux de fer perchés sur des chaises fracassées.

Tout en parlant, nous sommes arrivés dans les gorges de la Scheulte. Il se prête au jeu de la photographe, pose en équilibre sur les galets moussus de la rivière bouillonnante, bougonne: «Je ne vais quand même pas me foutre à l’eau.» Puis il ramasse une coquille d’escargot vide, la fait miroiter au soleil: «Tenez, un souvenir!» nous dit-il dans un sourire aux réminiscences de l’enfance.

Mi-punk, mi-chaman

Lui qui voulait «faire révolutionnaire ou cuisinier» quand il était petit, deviendra artiste, viscéralement artiste. Avec une mère peintre, un père écrivain éditeur et une sœur danseuse, le gène artistique fait partie de son ADN. L’humus jurassien aussi: «Cette région, dans son essence, son énergie, inspire forcément mon travail. Le fait de me réveiller tous les jours avec le bruit de la rivière explique sans doute certaines de mes images. Je suis dans une recherche de primitivité, de toutes ces choses très anciennes au fond de nous.»

Un peu punk, un peu chaman, on surnomme cet alchimiste à l’art ensorcelant «le magicien noir». Ça lui plaît bien «mais en même temps, faut pas déconner non plus, je fais de la poésie, pas de la sorcellerie».

On aimerait tout de même savoir de quelles ténèbres a surgi son univers destroy à la poésie cinglante? Silhouettes disloquées, totems sans Dieu ni maître, danses macabres hantent toute son œuvre. «Je fais peut-être des choses un peu fortes, explique-t-il dans un joli euphémisme. Mais j’ai aussi des œuvres drôles, douces ou tristes. Je crée des supports pour susciter l’émotion. Comme la rivière de la Scheulte, mon art peut roucouler tranquille ou inonder vos caves.» En allemand, «Scheulte» signifie «frayeur».

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