Ecologie. Camille Etienne s’insurge contre l’impuissance devant le désastre
L’écologiste française Camille Etienne signe un livre qui vise à «sortir de notre impuissance collective». Elle sera à Genève pour une conférence ce 25 janvier. Entretien.
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Grégoire Mottet
22 janvier 2024 à 14:35
En Suisse aussi, elle inspire. La Française Camille Etienne, déjà invitée par l’Université de Lausanne en octobre dernier, sera à Genève le 25 janvier pour une conférence à la Société de lecture. L’écologiste a publié Pour un soulèvement écologique aux Editions du Seuil, en 2023, un livre dans lequel elle conjure l’impuissance face au statu quo et appelle à une mobilisation portée par une peur, selon elle féconde, des risques environnementaux qui pèsent sur nous. L’activiste mène de front plusieurs luttes, notamment contre l’exploitation des océans, contre Total, contre une nouvelle autoroute dans le sud de la France. Interview.
A qui s’adresse votre livre?
Camille Etienne: Il ne s’adresse pas à quelqu’un en particulier. Je voulais raconter ce que c’est, au-delà des fantasmes, d’être une activiste écologiste. Je voulais parler des actions concrètes faites ici et ailleurs. J’ai surtout écrit ce livre pour faire gagner du temps à des gens qui se sentent impuissants, en partageant des références qui m’ont permis d’avancer dans mon parcours intellectuel.
Quelle est cette impuissance?
Elle vient du sentiment que la chose publique nous échappe. Elle est orchestrée et organisée. Historiquement, l’industrie fossile a semé le doute et créé le climatoscepticisme. Aujourd’hui, il existe un discours selon lequel la technologie va nous sauver, avec la géo-ingénierie ou la séquestration du carbone, par exemple. Ce sont des solutions qui arrangent beaucoup l’industrie fossile et les pouvoirs publics, parce qu’elles mettent à distance le citoyen.
Vous parlez à plusieurs reprises des dirigeants, «cette poignée de personnes qui ont tout et décident de tout». Selon vous, tout le système politique et économique est à revoir?
Ce sont les deux à la fois. Evidemment, il faudrait réformer toutes nos institutions. Le cadre dans lequel la décision est prise – c’est un peu différent en Suisse certes, mais vous n’êtes pas exempts de problèmes non plus – n’est pas propice à la mise en place d’actions réellement écologiques, qui soient le fruit d’un processus démocratique. Mais, il y a aussi le «là-maintenant-tout de suite» à gérer et il faut jouer avec les règles du jeu pour obtenir des victoires concrètes. Parce que derrière chaque demi-dixième de degré, il y a des vies humaines et non humaines en danger, souvent celles des plus précaires. Il est possible d’avoir un rapport sceptique aux institutions, aux partis, aux élections, mais pour autant de les utiliser.
Vous parlez autant des dirigeants politiques qu’économiques. Deux cibles aussi importantes l’une que l’autre?
Oui. La porosité entre les deux est très grande. Ces deux instances se rejettent sans cesse la balle. Il est important de montrer qu’une entreprise est un objet politique. A titre d’exemple, lors de la Convention citoyenne sur le climat (une assemblée tirée au sort mise sur pied par Emmanuel Macron en 2019, ndlr), les mesures ont été sabotées par le lobby automobile et publicitaire, de concert avec le gouvernement. La pression et le rapport de force doivent vraiment être sur les deux.
Dans votre livre, vous ne définissez pas le terme, pourtant central, de soulèvement. Pourquoi?
Ce livre n’est pas un mode d’emploi pour être activiste ou se soulever. Cette question ne doit pas être discutée seulement dans des livres, mais elle appartient à chacun. Le soulèvement, pour moi, c’est une forme de désobéissance, un renoncement moral à une certaine direction du monde. Ensuite sa forme concrète, elle, peut varier: les Soulèvements de la Terre (mouvement écologiste que le Gouvernement français a tenté, en vain, de dissoudre, ndlr), du sabotage et de l’action directe, des élus locaux qui décident de mettre en place des choses par la loi, etc. Le soulèvement se caractérise pour moi davantage dans l’intention que dans la forme.
Vous dites qu’il s’agit de «reprendre collectivement le pouvoir». Qu’est-ce que cela veut dire?
Reprendre le pouvoir, c’est imposer notre présence, dire qu’on ne pourra plus décider sans notre avis. Par exemple, lors de la dernière grosse action des Soulèvements de la Terre, nous nous sommes opposés à l’A69, une autoroute qui devait relier Castres et Toulouse en condamnant 400 hectares de terres arables. Pour reprendre le pouvoir contre une entreprise alliée à un gouvernement régional, nous avons fait une alliance. Avec des parents du coin qui ont peur parce que des usines de ciment vont naître à côté des écoles, des agriculteurs qui vont perdre des terres parce qu’elles sont sur le tracé, et des activistes opposés à cette nouvelle autoroute pour défendre l’environnement.
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