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Canton

Un coup de massue à vingt millions

Le Tribunal cantonal a eu la main lourde dans le volet civil de l’affaire du Fonds de prévoyance de l’ACSMS

Parmi les affiliés au Fonds de prévoyance de l’ancienne Association des communes de la Sarine pour les services médico-sociaux (ACSMS) figuraient les ambulanciers de la Sarine.

 Marc-Roland Zoellig

Marc-Roland Zoellig

30 septembre 2022 à 04:01

Justice » Vingt millions de francs. C’est la somme que les ex-membres du conseil de fondation de l’ancienne Association des communes de la Sarine pour les services médico-sociaux (ACSMS) ont été solidairement condamnés à verser au Fonds de garantie LPP qui a renfloué le gouffre financier engendré par les jongleries d’un gestionnaire de fortune indélicat, condamné en première instance à neuf ans de prison ferme (lire ci-dessous).

Dans un arrêt publié hier, le Tribunal cantonal fribourgeois (TC) a estimé que ces douze personnes, dont les anciens syndics Erika Schnyder (Villars-sur-Glâne) et Albert Lambelet (Corminbœuf), avaient «violé leurs devoirs de diligence et de fidélité ainsi que leurs devoirs particuliers en matière de placements» en laissant les coudées franches au gestionnaire de fortune. Celui-ci avait ainsi pu dilapider les avoirs du fonds de prévoyance de l’ACSMS, ancêtre du Réseau santé de la Sarine. Deux autres personnes, l’ancien réviseur des comptes et l’experte LPP engagée par l’institution, ont également été condamnées à passer à la caisse.

La négligence suffit

Certains des protagonistes aujourd’hui sanctionnés par le TC avaient été mis en cause dans le cadre du volet pénal de cette affaire ayant éclaté en 2014, avant d’être innocentés de haute lutte devant le Tribunal fédéral. Le Ministère public fribourgeois leur reprochait des infractions intentionnelles, comme des abus de confiance et de la gestion déloyale. Des chefs d’accusation finalement non retenus par les juges pénaux, dont les considérations ne liaient toutefois pas les magistrats saisis du volet civil de l’affaire, chargés de traiter les prétentions formulées par le Fonds de garantie LPP. Un dommage commis par négligence, de manière non intentionnelle, suffit en effet à justifier l’indemnisation du lésé.

En l’espèce, la IIe Cour des assurances sociales du TC a fait une lecture littérale de la loi sur la prévoyance professionnelle. Celle-ci stipule que l’élaboration de la stratégie de placement, ainsi que l’organisation et la surveillance de la réalisation de cette stratégie sont des «tâches inaliénables» du conseil de fondation.

Tribunal fédéral saisi

Dans leur arrêt de 132 pages, les juges cantonaux relèvent aussi que le Tribunal pénal économique (TPE) a estimé, en condamnant le gestionnaire de fortune à l’origine de la débâcle, que le conseil de fondation «n’avait pas fait montre de la diligence élémentaire» requise envers ce professionnel, dont il s’est avéré qu’il avait aussi grugé d’autres clients.

En raison de la coresponsabilité de la dupe, le TPE a donc jugé que le gestionnaire n’avait pas fait preuve d’astuce et ne l’a condamné «que» pour gestion déloyale – et non pour escroquerie – dans le volet concernant l’ACSMS.

Du côté des avocats des anciens membres du conseil de fondation, c’est la consternation. Selon toute vraisemblance, ils porteront l’affaire devant le Tribunal fédéral, n’ayant plus grand-chose à perdre: en l’état, le versement des indemnités qui leur sont réclamées équivaudrait à leur condamnation à mort économique, en ne leur laissant que le minimum vital… «Il y a un énorme sentiment d’injustice», résume Me Olivier Carrel.

Il relève que ses clients s’étaient tous engagés au sein du conseil en tant que miliciens, défrayés à hauteur de 2500 francs et d’un repas par année. «Ils ont été grugés par une personne qui a dilapidé de l’argent!» Pourquoi l’ancien gestionnaire de fortune n’a-t-il pas été reconnu coupable d’escroquerie dans le cas de l’ACSMS, alors qu’il l’a été dans d’autres dossiers où il a entourloupé des professionnels expérimentés? «Un regard hors canton sur cette affaire s’impose», conclut l’avocat en pensant au Tribunal fédéral.

Aucune audition

Me Alexandre Emery relève que le conseil de fondation ne réunissait pas que des élus locaux, mais aussi des représentants du personnel: cuisinier, ambulancier, secrétaire… Comment ces gens n’ayant souvent bénéficié d’aucune formation en matière de gestion financière auraient-ils pu percer à jour les jongleries d’un individu qui est parvenu à enfumer jusqu’aux cadres de la Banque cantonale de Fribourg? s’interroge l’avocat. Et de déplorer, de la part du TC, un raisonnement purement théorique et sans contact avec la réalité du terrain. «Mes clients ont été happés par un engrenage kafkaïen. Ils ont été brisés par cette affaire.»

Le comble, ajoute Me Jean-Christophe a Marca, qui défend l’ancien réviseur des comptes, c’est que le Fonds de garantie LPP n’a pas réclamé, à ce jour, un seul centime à l’ancien gestionnaire de fortune responsable de cette gabegie… Avocat de l’experte LPP engagée à l’époque par l’ACSMS, Me Hervé Bovet déplore par ailleurs que la IIe Cour administrative du TC ait rendu son arrêt sans procéder à la moindre audition des défendeurs. «Toutes nos réquisitions de preuves ont été rejetées. Les juges ne se sont fondés que sur le dossier…»

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