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Abbaye d'Hauterive

Abbaye d’Hauterive. rapprocher les moines des fidèles

L’architecte français Jean-Marie Duthilleul travaille sur l’espace liturgique de l’abbaye d’Hauterive

Reconnu internationalement, l’architecte Jean-Marie Duthilleul aime «atterrir» à Hauterive.

 Magalie Goumaz

Magalie Goumaz

13 juillet 2022 à 04:01

Abbaye d’Hauterive (1/6) » L’église de l’abbaye est en travaux. La Liberté présente chaque semaine un aspect de ce chantier complexe, sensible, mais passionnant.

Rien n’est laissé au hasard à Hauterive. Reconnu internationalement, l’architecte français Jean-Marie Duthilleul est chargé du concept de l’espace liturgique de l’abbaye. Il explique sa démarche et revient sur le refus de la Commission fédérale des monuments historiques de déplacer les stalles.

Quelles ont été vos premières impressions en arrivant à l’abbaye d’Hauterive?

Jean-Marie Duthilleul: Je ne connaissais pas Hauterive auparavant. Lorsque je suis arrivé la première fois, j’ai eu un sentiment d’éternité. Ce lieu est le reflet non pas d’un temps qui passe mais d’un temps qui dure.

Par rapport aux autres églises ou monastères que vous connaissez, quelle est pour vous la particularité d’Hauterive?

C’est le fait qu’on y «atterrisse». Le site n’est pas visible de loin. Lorsqu’on arrive, on commence par le dominer, puis on atterrit doucement en se rapprochant. Et soudain, on ne voit plus que l’abbaye et la nature. Il y a tout autour des bâtiments un condensé des paysages que la Terre nous offre.

Vous êtes le concepteur du futur espace liturgique. Pour vous, qu’est-ce qu’un espace liturgique, où commence-t-il?

Il s’agit d’un espace qui est ajusté afin de percevoir ce qui est imperceptible, de rendre visible ce qui ne l’est pas et d’être à l’écoute affûtée d’une parole. C’est aussi un espace qui permet à une assemblée de se percevoir comme telle, et non pas comme une juxtaposition d’individus.

Et c’est à vous d’ajuster cet espace. Lourde mission, non?

C’est un peu écrasant. Mais c’est vrai que c’est la tâche qui me revient. Je suis comme un accordeur de piano, qui presse cent fois sur la même touche avant de trouver la bonne tonalité.

Vous n’êtes pas seul à bord. Vous devez composer avec les autorités, une communauté religieuse, les historiens de l’art et du patrimoine. Qui l’emporte?

Il s’agit effectivement de prendre en compte l’histoire sous trois aspects. Il y a l’histoire d’un monument historique majeur pour la Suisse. Puis, il y a l’histoire toujours en mouvement des cisterciens qui vivent ici. Le troisième aspect, qui est aussi le plus difficile à cerner, est l’attachement des habitants alentour et au-delà à cette abbaye, et ce qu’elle représente pour eux au fil du temps.

A ce propos, le projet d’abolir la clôture qui sépare les moines des fidèles et de revoir l’emplacement des stalles a été une pierre d’achoppement. Que s’est-il passé exactement?

Ici, j’ai rencontré une communauté qui avait déjà entamé une réflexion profonde sur le futur espace liturgique. Les frères avaient la volonté d’être davantage en communion avec l’assemblée. Dans un premier temps, nous voulions donc déplacer les stalles et opérer ce rapprochement avec les fidèles en réinstallant ce mobilier plus à l’ouest. Le souhait des cisterciens n’a pas été compris. Ce projet s’est heurté au refus sec de la Commission fédérale des monuments historiques. S’est ensuivie une période d’abattement. Mais nous avons continué à réfléchir, et nous sommes arrivés à la conclusion que si nous ne pouvions pas bouger les stalles, ce seraient les moines qui allaient bouger durant la célébration. Nous recomposons ainsi l’occupation de l’espace en fonction des moments liturgiques, sans bouger les stalles, comme souhaité par la commission fédérale.

Mais n’êtes-vous pas en train de sacrifier une tradition à laquelle les fidèles tiennent. Il y a une part de mystère dans la configuration actuelle?

Mais elle ne permet pas de constituer une «assemblée célébrante», comme l’a demandé le concile Vatican II. De plus, les églises ont été dès l’origine, en 313, à la suite de l’édit de Milan, conçues pour être les maisons du peuple, sur le modèle des basiliques romaines, afin que le peuple puisse se rassembler pour se mettre en présence de Dieu, «présent au milieu d’eux» et vivre le mystère de l’eucharistie. Il y a eu progressivement un glissement, et elles ont été considérées seulement comme la maison de Dieu. Le concile Vatican II est à ce titre un retour aux sources.

Un retour aux sources que vous approuvez?

Oui, car c’est ce qui a été décidé par le concile Vatican II. Nous devons aller dans ce sens et ce courant va se répandre, même s’il faudra encore du temps.

L’idée de modifier les moments liturgiques a-t-elle été mieux reçue par la Commission fédérale des monuments historiques?

Il ne s’agit pas de modifier les moments liturgiques mais simplement d’utiliser tout l’espace de l’église pour mieux les vivre ensemble. Cette nouvelle approche a été bien accueillie, car elle concilie la conservation d’un lieu historique avec la manière contemporaine de la vivre. Nous sommes en train de préciser les détails du projet. Mais plus nous avançons, plus nous partageons une vision commune. Nous cherchons collectivement à accorder le sens et la forme.

Quels sont ces détails?

Il y a bien sûr le mobilier et son emplacement. Mais aussi la lumière. Nous savons aujourd’hui la travailler de manière très fine grâce aux LED, qui peuvent être placées et programmées subtilement, de façon à rendre perceptible notamment la dialectique entre la lumière et les ténèbres. Le son a lui aussi toute son importance, car il diffuse la parole de Dieu et s’adresse à chaque personne. Il n’y aura pas de haut-parleurs, mais le son sera diffusé au plus près de chacun. Il y aura ainsi beaucoup de techniques contemporaines invisibles, mais au service d’une poésie elle-même au service de l’expression des mystères, pour que les fidèles entrent dans la célébration, qu’ils participent à l’événement qu’est la messe.

Au final, les fidèles jugeront le résultat. Craignez-vous les critiques?

Les changements provoquent toujours des inquiétudes. Mais j’ai remarqué qu’ils sont rapidement acceptés dès lors qu’ils permettent aux fidèles de mieux vivre un événement qui est joyeux, profond, nourrissant.

Les moines sont-ils aussi convaincus?

Oui. Et ils sont unanimes. Depuis que les travaux dans l’église ont commencé, les instants de prière ont lieu dans l’ancien réfectoire. Les frères occupent les premiers rangs, et les fidèles sont derrière eux. Ils ont ainsi constaté qu’ils n’étaient pas troublés dans la prière par la présence d’autres personnes, mais que cette présence était même une force.

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