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Canton

Pisciculture, autopsie d’un fiasco

Le Conseil d’Etat fribourgeois a décidé d’abandonner l’installation staviacoise et veut désormais produire les œufs de poissons à la pisciculture de Colombier (NE) grâce à un accord intercantonal

L’écloserie d’Estavayer (en haut à gauche) est abandonnée par le Conseil d’Etat fribourgeois. Les œufs de poissons (en bas) seront désormais produits à Colombier par le garde-faune Valère Bilat.

 Lise-Marie Piller

Lise-Marie Piller

18 décembre 2019 à 02:01

Estavayer-le-Lac » C’est une débâcle phénoménale! La pisciculture d’Estavayer-le-Lac tombe définitivement à l’eau. Ayant coûté 2,4 millions de francs, elle avait d’abord été stoppée à cause de graves dysfonctionnements. Ceux-ci avaient provoqué la perte de millions d’œufs de poissons moins d’une année après sa mise en service en 2016. Le Conseil d’Etat a décidé de ne pas la faire repartir. L’information a été donnée hier lors d’une conférence de presse des conseillers d’Etat Jean-François Steiert, directeur de l’Aménagement, de l’environnement et des constructions, et Didier Castella, responsable des Institutions, de l’agriculture et des forêts. Les œufs de poissons fribourgeois seront désormais produits à la pisciculture de Colombier (NE), étant donné que des réparations sont estimées à 1,5 million de francs. Les deux hommes ont fait leur mea culpa disant assumer la part de responsabilité cantonale dans cet échec.

Comment en est-on arrivé là? Deux enquêtes administratives et techniques répondent à cette question. Elles avaient été lancées par l’Etat afin de déterminer les dysfonctionnements et les responsabilités de ce fiasco et ont coûté 45 000 francs.

Projet sans cesse remanié

Tout est dû à des défauts de conception. Les fautes sont multiples et partagées tant au niveau de l’Etat de Fribourg que des entreprises mandatées. Il y a d’abord l’absence d’un spécialiste en pisciculture lors de la construction de la maternité à poissons. «Un ingénieur du domaine a élaboré le projet, puis il est tombé malade et le dossier a été mis au frigo durant le traitement d’oppositions avant d’être ressorti en 2015», explique Dominique Schaller, chef du Service cantonal des forêts et de la nature. Après cela, aucun spécialiste n’a été mandaté, ce qui «s’est ressenti» sur l’exécution et le contrôle des travaux, selon l’enquête administrative.

Le deuxième problème a été le remaniement répété du projet initial, tantôt pour répondre à de nouveaux besoins, tantôt pour réduire des coûts qui avaient pris l’ascenseur. Il est devenu une sorte de patchwork où chacun y est allé de son initiative. C’est le principe du château de cartes: bougez un élément et tout s’écroule. Par exemple, les installations prévues ont été modifiées afin que des truites et des écrevisses à pattes blanches puissent y être produites. L’une des erreurs les plus fatales a été la modification de la prise d’eau. Celle-ci a été emménagée dans le hangar à bateau plutôt que dans le lac, à 40 mètres de profondeur, ce qui a eu un impact sur la qualité de l’eau et la température des bassins. L’hécatombe de 2017 en découle.

Troisième souci, un manque de communication. Le dialogue a été embrouillé ou absent au sein des services de l’Etat, et un manque de documentation au niveau des décisions prises a été constaté tandis que le départ de nombreuses personnes n’était pas là pour arranger les choses. Les entreprises mandatées auraient pour leur part dû s’assurer que leurs installations fonctionnaient avec le concept global et si elles avaient eu des doutes, elles auraient dû en faire part au canton, selon Didier Castella.

Enfin, la mise en route de la pisciculture a été précipitée alors qu’il aurait fallu faire des tests, relève le rapport administratif, qui mentionne encore des bassins défectueux livrés par une entreprise et un système d’alarme défaillant.

L’Etat ne va pas lancer de procédure juridique à l’encontre des sociétés, car aucune infraction n’a été constatée. «L’issue d’un procès était très aléatoire. Nous avons choisi le pragmatisme», indique Didier Castella en référence à des négociations avec les sociétés, qui verseront 200 000 francs au canton. Quant aux personnes ayant porté le projet au sein de l’Etat, elles ne sont plus en place – parties avant la fin des enquêtes, précise Didier Castella. Selon lui, les services ont quant à eux tiré des leçons.

Enervement général

Ces explications ne calment pas un énervement général, comme en témoigne par exemple le conseiller communal staviacois chargé de l’aménagement du territoire, Eric Chassot: «Les réactions sont très vives et émotionnelles à Estavayer où beaucoup de gens se sentent floués. Cette colère est compréhensible, car cette pisciculture a été jugée indispensable par le Conseil d’Etat et les autorités communales de l’époque ont échangé un terrain pour permettre sa réalisation.» Le Conseil communal a demandé au canton d’être associé de près aux réflexions pour l’affectation et la gestion future du bâtiment. Albert Bachmann, syndic d’Estavayer au moment de la mise à l’enquête de la pisciculture, abonde: «Je me sens floué. C’est du gâchis! Il y a tellement d’erreurs qu’il faut plus d’un million de francs pour les réparer, c’est incroyable!» Il ajoute que le partenariat avec Colombier ne va pas dans le sens du développement durable.

Pour leur part, des personnes qui avaient contribué au dossier au sein de l’Etat de Fribourg se renvoient la balle et les entreprises restent coites, ayant convenu de laisser l’Etat communiquer. Quant à Eric Delley, président de la corporation des pêcheurs professionnels du lac de Neuchâtel, il signale l’envoi d’une lettre au Conseil d’Etat de la part de son groupe. «Nous sommes opposés à la concentration de tout l’alevinage à un endroit», explique-t-il, car il craint qu’en cas de défaillance technique ou de maladie tous les bébés poissons ne périssent d’un coup.

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