Du camp de foot au bloc opératoire
La Gruérienne Zohra Egger s’engage pour son pays d’origine, l’Algérie. Portrait d’une battante née
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Charles Grandjean
7 janvier 2020 à 02:01
Humanitaire » Les valises sont quasiment prêtes. Ce sont plusieurs centaines de kilos de matériel médical qui prendront la direction de l’Algérie le 15 février prochain. Leur destination: l’oasis de Djanet, au sud-est du pays.
«On part pour une mission d’ophtalmologie.» Presque une routine pour Zohra Egger. Cette infirmière-instrumentiste à la retraite a organisé plus d’une vingtaine de missions médicales depuis 2002, tant en ophtalmologie qu’en gynécologie, via l’association Avenir, formellement fondée en 2007.
Ni route ni électricité
L’engagement humanitaire de cette habitante de Vaulruz est intimement lié à son destin personnel. Deuxième d’une fratrie de douze, elle a grandi dans un hameau sans route, ni électricité, dans la région de Chlef, au nord de l’Algérie.
«Je suis une enfant de Terre des hommes. J’ai atterri la première fois en Suisse aux Brassus le 28 février 1963. Il y avait 1,5 mètre de neige. J’ai mangé de la neige, sucé des glaçons.» Une véritable découverte pour cette orpheline de père âgée alors de 11 ans. On est dans le contexte de la guerre d’Algérie. Son premier séjour de six mois en Suisse la marquera. «De retour en Algérie, je voulais vivre comme en Suisse. Je refusais de me soumettre, se souvient-elle. J’ai rusé de plusieurs manières, en faisant une grève de la faim.» Armée de sa seule détermination, la jeune fille parviendra à ses fins: retourner en Suisse «chez mademoiselle Melandri», une «seconde maman». Car sa maman biologique a mis du temps à accepter sa fille, poids de la tradition oblige. «Elle m’a dit textuellement qu’elle ne voulait pas de fille. Moi, je voulais exister.»
Son parcours, Zohra Egger le doit à la force de son caractère: «J’ai fait un peu d’école à la vallée de Joux, puis j’ai vogué en Suisse alémanique où j’ai travaillé comme aide infirmière à Kreuzlingen.» Ce sera ensuite l’école d’infirmière-assistante à Fribourg en 1969. «Ça ne me suffisait pas, poursuit celle qui rêvait d’indépendance. J’ai poussé pour faire instrumentiste.» Une formation qu’elle accomplira en cours d’emploi, à l’Hôpital cantonal, là où elle rencontre son mari, alors jeune médecin.
Déclic par le ballon rond
Si Zohra Egger mûrissait depuis longtemps un projet humanitaire, celui-ci ne se concrétisera pas immédiatement sous la forme d’un soutien médical. Sa première initiative sera l’organisation d’un camp de football. «L’idée de prendre des enfants algériens en camp m’est venue à l’enterrement de mon frère, qui était entraîneur de football.» En juin 2002, 22 jeunes algériens foulent la pelouse du FC Vaulruz. Ils sont hébergés dans des familles du village. «Cette solidarité était magnifique à voir.» L’organisatrice est elle-même surprise de la facilité des démarches administratives pour l’obtention des visas. L’expérience sera d’ailleurs réitérée.
Mais cette réussite accélère aussi la réalisation d’une première mission d’aide à la formation continue en ophtalmologie, en septembre 2003. «Je voulais d’abord me rendre sur place pour opérer une dame, qui avait été ma nourrice. Elle était devenue malvoyante. Le hic, c’est qu’elle n’a pas voulu se faire opérer», relate la Gruérienne. La mission permet toutefois d’opérer 110 cataractes et douze strabismes en une semaine, dans sa ville d’origine de Chlef. «Mais je me suis rendu compte que les besoins étaient plus pressants dans le sud de l’Algérie.» Les missions s’enchaînent: ce sera Béni Saf, Ghardaïa, Timimoun ou encore El Oued.
Médecins autonomes
Chaque mission réunit du personnel médical de diverses religions et nationalités. «On fait abstraction de nos différences. Humainement, c’est fabuleux.» Les différences culturelles, Zohra Egger s’en amuse. Mieux, elle s’efforce d’en tirer le meilleur. «Les Suisses ont les montres, les Algériens ont le temps, me dit-on en Algérie. Moi, je ne supporte pas les gens en retard», assène celle qui se définit comme plus Gruérienne que Fribourgeoise.
De ses origines maghrébines, elle a gardé son sens aigu du contact. Quitte à bousculer les habitudes, lorsqu’elle se rend en Algérie. «Avec l’âge, je pousserais presque un peu à la provocation, car les personnes âgées sont respectées là-bas.» Et d’illustrer: «Un jour, une femme de ménage arrive à l’hôpital et s’assied. Je l’ai renvoyée à la maison. Elle est revenue le jour suivant. J’ai pris une serpillière pour lui montrer comment travailler. Je lui ai expliqué qu’elle était aussi importante que le chirurgien, car si elle ne nettoyait pas assez bien, un patient pouvait perdre son œil.» L’infatigable instrumentiste trouve avec elle la formule qui fait mouche en utilisant le titre «madame». «Cette femme de ménage m’a dit qu’elle s’était sentie devenir une personne à part entière depuis ce jour. Elle est devenue ma meilleure alliée au bloc opératoire.»
Zohra Egger peut aussi compter sur des mains expertes, comme celles du docteur Philippe De Gottrau qui opérera au cours de la première semaine de la mission à venir. «La seconde semaine, l’équipe intervenante sera entièrement algérienne», se félicite-t-elle. La mission suivante, en octobre 2020, sera menée par le Dr Armand Movaffaghy. Si contribuer à l’autonomisation des équipes médicales algériennes est l’une des principales réussites de l’association Avenir, la dynamique retraitée n’en oublie pas de souligner la dimension humaine: «Ça me touche que des Suisses viennent bénévolement en mission sur leur temps libre.»
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