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Canton

Deux siècles d’opposition au vaccin

La méfiance face au vaccin n’a rien d’un phénomène nouveau, rappellent deux spécialistes

Nathalie Déchanez et Petra Schäfer-Keller enseignent à la Haute Ecole de santé Fribourg.

 Patrick Chuard

Patrick Chuard

22 juin 2021 à 01:24

Santé » Le vaccino-scepticisme semble être aussi vieux que le vaccin, inventé en 1796. Les réseaux sociaux ne font que donner de l’écho à une résistance qui existe depuis deux siècles. Comment faire de l’information sur un thème où la croyance et l’émotion prennent tant de place? C’est le défi que se posent deux spécialistes: Nathalie Déchanez, maître d’enseignement à la Haute Ecole de santé Fribourg (HEdS-FR), et Petra Schäfer-Keller, professeure et responsable de l’Unité de recherche en interventions infirmières complexes.

1796

invention du vaccin

Les campagnes contre la variole ont suscité des résistances dans le canton de Fribourg entre 1798 et 1850, où «les médecins ont expérimenté le manque d’intérêt et de collaboration de la population», rappelle un article publié par Nathalie Déchanez et Marie-Noëlle Kerspern dans les Cahiers du Musée gruérien. Privée de choix, «contrainte à subir l’inoculation d’un agent pathogène par la police de la santé, la population se rebelle. L’incompréhension et le manque de sens ouvrent la voie à la résistance, seule alternative pour la population de reprendre le contrôle. Le faible niveau d’éducation et le manque d’information se font complices du développement de rumeurs: ainsi naît le scepticisme face à la vaccination.»

Deux siècles plus tard, la situation face à la pandémie de SARS-CoV-2 est certes différente. La vaccination n’est pas obligatoire et, à ce jour, 45% de la population fribourgeoise a reçu au moins une dose. Comment faire pour favoriser le mouvement? Pour Nathalie Déchanez, revenir à la contrainte ne serait pas une bonne idée: «La loi sur les épidémies aurait permis d’instaurer l’obligation vaccinale au niveau cantonal, rappelle-t-elle. Aucun canton n’y a eu recours, car on sait qu’un rapport de force ne permettra pas de gagner la lutte contre la pandémie. En Suisse, le libre choix du vaccin est culturel. Nous vivons dans un consensus où l’Etat doit jouer son rôle protecteur mais garantir la liberté individuelle tout en faisant la promotion de la santé. L’histoire montre que quand on veut contraindre la population, on enclenche un rapport de force.»

La place de la croyance

Nathalie Déchanez précise au passage que son but, «en tant qu’infirmière», n’est pas de convaincre tout le monde de se faire vacciner mais de «favoriser des choix volontaires et éclairés, même si je sais qu’un taux de couverture vaccinale est important pour enrayer la maladie. Le but est d’informer et de déconstruire les fake news.» L’approche est pour le moins différente de celle de l’arrêté du 4 janvier 1826, dans lequel l’avoyer et le Conseil d’Etat rappelaient que le rôle des médecins vaccinateurs était «de vacciner toute personne qui ne l’a pas été ou qui n’a pas eu la petite vérole» (sic). Le caractère d’obligation existait encore en 1943 pour la vaccination antivariolique et en 1946 pour la vaccination antidiphtérique.

Une autre différence essentielle avec le passé tient à la connaissance. «Aux XVIIIe et XIXe siècles, les gens manquaient d’informations, ce qui laissait place à la croyance. Avec le coronavirus aujourd’hui, nous avons plutôt affaire à une pléthore d’informations», constate Nathalie Déchanez. Certaines études ont cependant montré que cela peut aussi engendrer des confusions.

A l’heure où les réseaux sociaux jouent sur les émotions, tout le défi de la communication est de répondre sur le même plan. «Notre rôle infirmier est de dépolariser le débat pour établir des ponts entre la communauté scientifique, la population et les politiques. Pour cela, nous enseignons le marketing social à nos étudiants, ce qui permet de promouvoir des émotions positives en aidant la population à faire ses choix de santé.»

L’évaluation du risque

Pour Petra Schäfer-Keller, «la notion de risque est parfois difficile à comprendre. Les gens perçoivent les effets indésirables d’un vaccin comme une conséquence directe qui se produira sur leur propre corps. Ces effets secondaires sont considérés comme plus probables et intuitivement plus dangereux que le risque de contracter la maladie et d’en subir les conséquences. La protection obtenue, à savoir l’avantage de vivre sans attraper la maladie, n’est pas directement perceptible puisque la personne reste en bonne santé.»

Jamais autant d’informations n’ont été données à la population pour faciliter la compréhension et vulgariser les connaissances, observe Petra Schäfer-Keller: «La Confédération et tous les acteurs fournissent un effort énorme pour assurer la transparence. Malgré tout, une partie de la population n’a pas accès à ces informations, et il faut l’en rapprocher en allant à la rencontre des populations les plus vulnérables, isolées, qui ne lisent pas les médias ou parlent une autre langue.» Elle évoque l’expérience des bus de vaccination lancée en Grande-Bretagne.

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