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Editos

Le Prix Nobel à deux étoiles

Les astrophysiciens romands Michel Mayor et Didier Queloz ont obtenu hier la prestigieuse distinction. Leur découverte majeure dans le domaine des exoplanètes est enfin récompensée, après 24 ans d’attente


Igor Cardellini et Thierry Jacolet

Igor Cardellini et Thierry Jacolet

9 octobre 2019 à 15:23

Physique » C’est le début d’une formidable épopée scientifique qui a été récompensé hier. Le Prix Nobel de physique attribué aux astrophysiciens romands Michel Mayor et Didier Queloz couronne leurs recherches, qui ont abouti à une découverte majeure réalisée en 1995: la première exoplanète, une planète située en dehors du système solaire, baptisée 51 Pegasi b. Le duo, qui partage la récompense avec le Canado-Américain James Peebles, auteur de découvertes théoriques en cosmologie physique, a donné le départ, sans le vouloir, à la chasse aux nouvelles exoplanètes.

1. Pourquoi était-ce une révolution?

La découverte de la première exoplanète a révolutionné notre vision et notre connaissance de l’Univers. «Elle a ouvert la voie à un vaste domaine de recherche en astronomie», salue Auguste Le Van Suu, responsable de l’Observatoire de Haute-Provence (OHP). «Depuis que les philosophes grecs se demandaient si on était seuls dans l’univers il y a plus 2000 ans, on n’avait jamais démontré l’existence d’autres planètes ailleurs que dans notre système solaire.»

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L’exploration de notre galaxie a permis de confirmer formellement plus de 4000 planètes extrasolaires, dont les plus proches sont à quelques années-lumière du système solaire. Sans parler de milliards d’autres qui existeraient. Les scientifiques vont plus «loin» de nos jours: ils recherchent des planètes de masse comparable à la Terre, la présence d’atmosphère et aussi des planètes situées dans la «zone habitable». «Un des domaines majeurs est à présent l’exobiologie, autrement dit l’étude de la biochimie et géochimie pour l’apparition de la vie en dehors de notre système solaire», relève Auguste Le Van Suu. «Le but est de trouver d’autres exoplanètes qui auraient des marqueurs pour l’apparition de la vie.»

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2. Quels effets pour la recherche mondiale?

Le résultat des recherches du duo romand a conduit au lancement de télescopes spatiaux pour la détection et l’étude des exoplanètes par la méthode du transit (passage de la planète devant l’étoile). Dernière mission en cours, celle du télescope Tess, envoyé en orbite en avril 2018 par la NASA: elle est partie en quête d’exoplanètes rocheuses dans un rayon de seulement 300 années-lumière du Soleil. Ce télescope remplace Kepler, qui a scruté une portion de la Voie lactée et identifié plus de 2000 planètes hors de notre système solaire.

« Leur découverte a ouvert la voie à un vaste domaine de recherche »

Auguste Le Van Suu

Bien avant, les trouvailles de Michel Mayor et Didier Queloz ont entraîné la mise en place en 2003 au Chili de HARPS. Cinq ans plus tôt, l’Observatoire européen austral (ESO) lance l’appel à projet pour concevoir, fabriquer et installer ce spectrographe. Un consortium comprenant l’Observatoire de Genève, initiateur du projet, l’Institut de physique de l’Université de Berne, l’OHP et le service d’aéronomie du Centre national de la recherche scientifique (CNRS) est créé. «Cet instrument permet alors de mesurer des planètes aussi petites que Neptune», souligne Pierre Bratschi, astronome au Département d’astronomie de l’Université de Genève. «Le précédent spectrographe ELODIE ne repérait que des planètes de la taille de Jupiter ou de Saturne.» En 2018, le spectrographe de troisième génération ESPRESSO a été installé au Chili pour mesurer la masse de planètes aussi petites que la Terre.

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Par ailleurs, des outils comme le satellite CHEOPS se développent. L’engin sera envoyé dans l’espace avant la fin de l’année. «Il mesurera la taille des planètes», indique Pierre Bratschi. «Avec la technologie développée par l’équipe de Michel Mayor, c’est la masse qui est calculée. Ainsi, avec la taille et la masse, on obtient la densité qui permet de mieux caractériser ces exoplanètes.»

3. Quelle consécration pour la Suisse?

Le Prix Nobel a valeur de reconnaissance pour la Suisse. Le système helvétique permet une recherche de pointe dans un domaine extrêmement visible et compétitif. En 2014, la décision au niveau de la Confédération de créer un pôle de recherche national (PRN) PlanetS, doté de 17,6 millions de francs entre 2014 et 2018, et réunissant les centres d’excellence consacrés à l’étude des exoplanètes, a accentué cette dynamique vertueuse, souligne Willy Benz, directeur du PRN PlanetS et de l’Institut de physique de l’Université de Berne. «Cela a fédéré les instituts du pays», détaille-t-il. «Maintenant, nous travaillons ensemble sur des projets communs (notamment CHEOPS et PLATO). Nous avons un pôle national qui parle aux autres pays au nom des chercheurs suisses.» Et d’ajouter que ce contexte est vital pour «aller plus loin et voir de quoi ces planètes sont faites, ainsi qu’analyser leur origine, leur évolution et leurs caractérisations physiques et chimiques».

Pour Pierre Bratschi, «le Prix Nobel est une très grande fierté pour l’Université de Genève. Cela va certainement nourrir la légitimité dont bénéficie déjà notre institut.» Willy Benz abonde: «C’est un très bon signal. On récompense des personnes qui ont radicalement changé un domaine de la science en développant ces techniques. Je pense ici à la technique de corrélation croisée, permettant de mesurer la vitesse des étoiles.»

Le directeur du PRN mesure d’autant mieux ces avancées qu’il a fait sa thèse avec Michel Mayor dans les années 1980. «Le contexte était alors complètement différent avec très peu d’équipes de recherches actives dans le domaine à l’échelle mondiale», ajoute-t-il. A l’époque, de la découverte, une dizaine de personnes dans le monde travaillaient sur les exoplanètes. Pas plus tard qu’il y a deux semaines, Genève accueillait plus de 2000 astronomes spécialistes du domaine…


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