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Et si la foudre tombait sur l’Europe?

Brexit ▶ Le scénario d’une sortie du Royaume-Uni de l’UE suscite d’innombrables interrogations.

EMILIE MOYSSON

PROPOS RECUEILLIS PAR TANGUY VERHOOSEL

PROPOS RECUEILLIS PAR TANGUY VERHOOSEL

15 juin 2016 à 11:26

Plus qu’une grosse semaine avant le vote crucial des Britanniques sur le maintien ou non de leur pays dans l’Union européenne. Vivien Pertusot est le responsable, à Bruxelles, de l’Institut français des relations internationales (Ifri). Un «no» à l’Europe ne l’étonnerait pas. Il marquerait le point de départ d’une longue période d’incertitude, pour l’UE. Entretien.

Vous apprenez, dans la nuit du 23 au 24 juin, que les Britanniques ont choisi de quitter l’UE. Quelle est votre première réaction?

Vivien Pertusot: Ce n’est pas étonnant. Le discours dominant, promaintien dans l’UE, a été très catastrophiste. Il aura moins inspiré les électeurs que celui des partisans du Brexit, pourtant empreint de naïveté politique. Il a reposé sur l’affirmation que le Royaume-Uni pourra toujours s’en sortir, quelle que soit la situation dans laquelle il se trouve.

En attendant, la City doit-elle se préparer à une hémorragie?

A court terme, dans un délai de six mois à un an, il n’y aura pas de délocalisations massives d’institutions financières ou d’entreprises, car des investissements à long terme ont été effectués et qu’on ne change pas de stratégie du jour au lendemain. En revanche, les nouveaux investissements vont chuter. Les sociétés étrangères, en particulier extraeuropéennes, vont se demander s’il est judicieux d’investir au Royaume-Uni alors que, deux ans plus tard, elles n’auront plus accès au marché intérieur européen, au cas où les négociations que Londres et ses partenaires vont engager échoueraient.

Pourtant, le groupe bancaire britannique HSBC a déjà agité le spectre de délocalisations massives et immédiates?

Mais pour aller où? A Paris et Francfort, qui ne disposent pas forcément de toutes les infrastructures qu’on trouve à Londres? Certaines entreprises songeront rapidement à diversifier leurs pôles d’activités, c’est sûr. Mais dans la pratique, tout dépendra de l’issue des négociations entre le Royaume-Uni et les Européens. La question des services financiers sera très épineuse, dans ce contexte. Les entreprises de la City bénéficieront-elles toujours d’un «passeport européen» leur donnant accès au marché intérieur ?

Les Européens feront-ils ce cadeau à Londres, qui bien évidemment tentera d’obtenir le beurre et l’argent du beurre?

La situation idéale, pour les Britanniques, ce serait évidemment de ne plus être membres de l’Union, mais de continuer à faire partie du marché intérieur et d’y avoir voix au chapitre. Je ne pense pas qu’on leur fera ce cadeau, mais on ne peut pas l’exclure. Les Français et les Allemands sout iendront probablement la conclusion d’un accord de libreéchange pour les marchandises. Mais à mon avis, elles s’opposeront au maintien d’une libéralisation des services financiers.

On parle beaucoup d’un accord sur mesure pour le Royaume-Uni. Ou, à défaut, des modèles de type suisse, turc, de l’EEE , de la «politique de voisinage» de l’UE, etc. Ne pourrait-on pas envisager un échec pur et simple des négociations entre Londres et l’Union?

Si. Leurs relations seraient alors régies par les règles de l’Organisation mondialeducommerce(OMC). Des droits de douane devraient alors être rétablis, entre autres. Les partisans du Brexit reconnaissent que cette situation ne serait pas idéale, mais en même temps, ils rappellent le fait que le Royaume-Uni réalise 55% de ses échanges commerciaux avec des Etats qui ne sont pas dans le marché intérieur européen.Afindedemeurerattractif, le Royaume-Uni pourrait décider unilatéralement de supprimer ces droits de douane et même de réduire drastiquement l’imposition des entreprises.

Deux ans pour tenter de trouver un terrain d’entente entre l’UE et Londres, sera-ce assez?

Si les Européens veulent faire du cas britannique un exemple, et se montrent intransigeants, ce sera assez. Ce sera également assez si les Britanniques se contentent d’un accord imparfait, afin de ne pas prolonger la période d’incertitude économique à laquelle ils seront confrontés. Mais on peut imaginer que les deux parties prolongeront leurs négociations. Au-delà des questions commerciales, il faudra aborder d’innombrables sujets: relations diplomatiques, immigration, recherche, agriculture, pêche, etc.

Pendant ce temps-là, l’intégration européenne se poursuivra-t-elle?

L’agenda européen va être paralysé par la question britannique. Bien sûr, la vie continuera. Le projet d’instaurer une Union des marchés de capitaux, par exemple, prendra pas mal d’ampleur à partir de 2017. Mais en même temps, le retrait du Royaume-Unicompliqueralerapport de force entre l’Allemagne et la France.

Un Brexit risquerait-il de faire boule de neige, dans l’UE?

Si la réponse que l’Union lui apportera n’est pas forte, on peut en effet redouter le déclenchement de débats houleux dans certains pays de l’UE, qu’ils soient grands, petits, jeunes ou anciens, sur la pertinence de rester dans un club incapable de se remettre du départ d’un de ses membres.

Une réponse forte, c’est quoi?

C’est saisir l’opportunité des deux années de négociations avec Londres pour réfléchir sérieusement à ce que l’on souhaite faire au sein de cette Union, tous ensemble ou pas. Actuellement, les débats internes sont très pauvres; lesdirigeantseuropéensmanquent d’audace.Maisladynamiquepourrait changer, au lendemain d’un Brexit. On pourrait engager une discussion à long terme, au niveau européen et national.

Que les Britanniques restent ou non dans l’Union, cette dynamique ne devra-t-elle pas être enclenchée de toute façon?

Si. Mais elle s’enclenchera plus tardivement si le Royaume-Uni demeure membre de l’UE. Sans doute attendra-t-on 2018, l’année qui suivra les élections françaises et allemandes, avant d’engager le débat. Si le Brexit se produit, on commencera à réfléchir plus tôt, même si cela ne débouchera pas sur quelque chose de très sérieux avant 2018.

Sauf si, d’ici là, les Pays-Bas ruent dans les brancards, non?

Les Pays-Bas, il est vrai, n’ont pas le même sens des responsabilités que les cinq autres Etats fondateurs de l’Union et ils l’assument. Ils ont toujours eu une vision assez utilitariste de l’UE. Mais j’en suis persuadé: si on demande clairement aux Néerlandais s’ils veulent rester dans l’Union ou la quitter, ils choisiront la première option. 

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