Coup de tête des Turcs
La Turquie est en position de force en Syrie au moment de fondre sur les séparatistes kurdes
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11 octobre 2019 à 04:01
Syrie » Les Turcs ont refait le coup d’Afrin. Une année et demie après s’être emparés de force de la région du nord-ouest de la Syrie, ils ont lancé mercredi la deuxième étape de la prise de contrôle du territoire kurde, avec cette fois des Américains à la place des Russes dans le rôle du facilitateur. Malgré l’indignation internationale, l’opération Source de paix s’est poursuivie hier. Le président turc Recep Tayyip Erdogan prend l’ascendant dans la guerre en Syrie.
1 Quelles sont les intentions turques?
La Turquie est couchée sur un baril de poudre depuis que les Kurdes syriens veulent créer le Rojava aux portes sud. Le hic c’est que ce Kurdistan syrien est considéré par Ankara comme une base arrière du terrorisme du Parti des travailleurs du Kurdistan (PKK), ennemi juré de Recep Tayyip Erdogan. «En envahissant le nord de la Syrie, il veut éliminer les Kurdes qui y vivent», observe Fabrice Balanche, spécialiste de la Syrie et maître de conférences à l’Université Lyon 2 qui est actuellement à Amouda, dans le Nord-Est syrien. «Il agit un peu comme Hitler quand il s’est emparé de la Tchécoslovaquie via les Sudètes.»
L’autocrate veut arracher aux Kurdes une bande de territoire longue de 120 km et profonde d’une trentaine de kilomètres entre les villes de Tall Abyad et de Ras al-Aïn. Avant de pousser plus loin à l’est et à l’ouest. Une immense zone tampon dans laquelle il entend renvoyer 1 à 2 millions des 3,6 millions de réfugiés syriens que la Turquie a accueillis depuis le début de la guerre en 2011. Des exilés de plus en plus encombrants dans un pays à la limite de sa capacité d’accueil et où les réflexes de rejet se multiplient. Les électeurs ont d’ailleurs sanctionné la politique d’accueil du président lors des dernières municipales en mars.
2 Pourquoi Erdogan fait fi de Trump?
La Turquie est passée à l’action après l’annonce dimanche passé du retrait des soldats américains de Syrie. Même si Donald Trump s’est lancé dans un exercice de rétropédalage pour la forme, avertissant qu’il anéantirait l’économie turque si Ankara menait son offensive «de manière injuste» et «inhumaine». «Le Congrès semble être assez favorable à l’imposition de sanctions à la Turquie, bien que Donald Trump puisse tenter de bloquer une telle initiative», relève Stephen Zunes, professeur de politique à l’Université de San Francisco. «Il ne faut pas oublier qu’il est personnellement proche d’Erdogan.» La menace s’est déjà évaporée derrière la fumée des frappes turques. «Il y a eu un accord informel entre les Etats-Unis et la Turquie pour laisser les Turcs entrer dans la zone», affirme Fabrice Balanche.
3 Quel soutien de Moscou et Damas?
Les Russes laissent les Turcs lancer l’offensive en Syrie du Nord et les Turcs laissent Idlib aux Russes. C’est en quelque sorte le «marché» passé entre Vladimir Poutine et Recep Tayyip Erdogan qui ont tous deux les mains libres pour passer la vitesse supérieure. Les avions russes et les troupes du régime syrien ont intensifié depuis le mois d’avril les frappes contre Idlib, le dernier bastion rebelle. «La Turquie n’arme plus des groupes antirégime dans cette poche», précise Fabrice Balanche. «Elle leur avait même fourni des missiles pour ralentir l’armée syrienne.»
Depuis le sommet de Saint-Pétersbourg en 2016, Erdogan et Poutine ont rétabli leurs relations bilatérales. La Russie n’a par exemple pas demandé de réunion de Conseil de sécurité de l’ONU hier. La livraison du système de défense antiaérien russe S-400, ça rapproche aussi… Moscou se pose en intermédiaire entre le régime syrien et les Kurdes d’une part et entre ce régime et Ankara.
De son côté, la Syrie a mis en garde la Turquie contre toute violation de sa souveraineté et atteinte à son intégrité territoriale. Mais elle ne veut pas d’un territoire kurde autonome qui couvre 25% de son territoire au nord. «Les Russes et les Syriens vont laisser les Kurdes se faire massacrer par les Turcs, d’autant que cela permettra de stabiliser la région», soupire Frédéric Pichon, géopolitologue, spécialiste du Moyen-Orient et chercheur à l’Université de Tours. «Pour ces deux pays, tout groupe qui a collaboré avec les Occidentaux, les Etats-Unis en l’occurrence, n’est plus fiable. Les Kurdes avaient pourtant eu des opportunités de rejoindre le camp pro-Assad mais ils ont toujours renoncé.»
4 Comment les Kurdes résisteront-ils?
Les Kurdes des Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de combattants kurdes et arabes dominée par les Kurdes des Unités de protection du peuple (YPG), peuvent compter sur 50 000 à 60 000 hommes et femmes, des armes fournies par les Américains et leur nationalisme exacerbé pour barrer la route aux Turcs. Mais ils n’ont pas l’arme fatale: l’appui aérien. «La résistance kurde sera désespérée sans cela», redoute Frédéric Pichon. En face, Ankara dispose d’avions, de chars et d’artillerie. Mais aussi de ses supplétifs: près de 20 000 hommes des milices arabo-syriennes appuyés par les milliers de soldats turcs. Un combat inégal? «Cela pourra prendre du temps aux Turcs car il ne faut pas sous-estimer la capacité de résistance des Kurdes», confie le géopolitologue.
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