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Économie

Quand la pharma boude la Suisse

Le faible intérêt économique à écouler des médicaments anciens alimente la pénurie


Maude Bonvin

Maude Bonvin

5 mai 2023 à 04:01

Santé » La pénurie de médicaments s’aggrave en Suisse. Au côté de certains antibiotiques, la morphine manque désormais à l’appel. Ces produits thérapeutiques peuvent être remis de manière fractionnée par les pharmaciens pour atténuer ce phénomène.

En début de semaine, les pédiatres ont par ailleurs tiré la sonnette d’alarme dans une lettre ouverte. Antibiotiques, analgésiques et vaccins pour les enfants font défaut. Et ces solutions ne peuvent pas toujours être remplacées par des préparations destinées aux adultes. Pour la Société suisse de pédiatrie (SSP), ces absences violent la convention de l’ONU sur le droit des enfants à être soignés, en raison d’une production et d’un stockage de médicaments insuffisants.

Selon René Jenny, de nombreux produits anciens et trop bon marché ont été retirés du marché helvétique, ce qui accroît le problème. Le Fribourgeois préside le Groupement romand de l’industrie pharmaceutique (GRIP) qui regroupe une quarantaine de fabricants de médicaments et de dispositifs médicaux. Interview.

Comment expliquer que la Suisse, pays de la pharma, connaisse de telles pénuries?

René Jenny: Ce n’est malheureusement pas un phénomène nouveau. Et il ne disparaîtra pas de sitôt. Actuellement, près de 1000 médicaments et environ 400 principes actifs ne sont pas disponibles. Il faut aussi considérer tous les médicaments qui ont été retirés du marché helvétique ces vingt dernières années.

Pourquoi tous ces retraits?

Beaucoup de médicaments sont trop bon marché en Suisse en relation avec sa taille du marché. Si les nouveaux produits sont chers parce qu’innovants avec des coûts de recherche très élevés, les préparations anciennes, à l’inverse, se vendent au prix d’un chewing-gum ou d’un bonbon. Plus personne ne veut les écouler. Pour bien des sociétés, la Suisse représente 2% des ventes. Y être présent devient de moins en moins intéressant, du moins pas à n’importe quelles conditions. La réglementation, aussi bien de Swissmedic que de l’Office fédéral de la santé publique (OFSP), provoque une hausse massive des coûts difficilement conciliable avec la taille du marché.

N’est-ce pas aussi la faute à la mondialisation?

Effectivement, la plus grande part des principes actifs nécessaires à la fabrication de médicaments est produite en Inde et en Chine. L’Europe appelle d’ailleurs à rapatrier la fabrication de ces substances. La pénurie peut cependant aussi être due à des problèmes d’interruption de production dans les usines pour diverses raisons.

La vente de médicaments à l’unité ne représente-t-elle pas la solution. Chez nous, il y a beaucoup de gaspillage…

Vous avez raison. Le facteur gaspillage, qui est énorme en Suisse, doit être considéré. Le fractionnement est déjà pratiqué dans des cas bien délimités et spécifiques.

Le pharmacien peut également proposer aux patients ses propres préparations…

Bien sûr. Toutefois, le pharmacien ne peut pas fabriquer tous les médicaments dans son officine techniquement. Il existe notamment des limites liées aux installations existantes. Le pharmacien est lui aussi confronté à la taille des fabrications et des coûts induits par le sur-mesure. Depuis début mai, un tarif spécifique existe pour la prise en charge des fabrications propres du pharmacien et du fractionnement des médicaments par l’assurance-maladie de base.

Faut-il libérer davantage les réserves obligatoires?

L’Office fédéral pour l’approvisionnement économique du pays (OFAE) fait le nécessaire dans ce domaine et rend les stocks disponibles en cas de besoin. Les conditions d’utilisation de ces réserves sont très claires. La liste des stocks obligatoires a par ailleurs été élargie.

Les médicaments indisponibles sont remplacés par d’autres. Est-ce vraiment un problème?

Je ne suis pas pharmacien mais un changement de thérapie peut entraîner des conséquences négatives pour le patient. Une modification peut entraîner une rechute ou provoquer des effets indésirables plus importants. De plus, il s’agit d’une opération compliquée donc pas toujours évidente à réaliser. Enfin, bien souvent la thérapie alternative est plus onéreuse que l’originale.

Personne n’est mort en Suisse faute de médicaments. N’est-ce pas un caprice de pays riche?

Non, ce n’est pas un problème de riches. Evidemment, des régions plus pauvres que nous connaissent des problèmes bien plus graves que ce soit de pénuries ou de falsifications de médicaments. Ce n’est cependant pas une raison pour sous-estimer les difficultés en Suisse. Bien au contraire. Nous sommes confrontés à un réel problème de santé publique qu’il y a lieu de régler afin de garantir l’accès aux médicaments pour tous.

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