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Économie

Credit Suisse chahuté

L’établissement bancaire suisse a vu hier le cours de ses actions chuter de 30% en Bourse. Du jamais-vu


Pierre-André Sieber

Pierre-André Sieber

16 mars 2023 à 02:01

Banque » L’action de Credit Suisse (CS) qui chute de 30% en Bourse? Ce scénario de cauchemar est devenu réalité, hier, sur les marchés financiers à la suite des déclarations d’Ammar al-Khudairy, président de la Saudi National Bank (SNB). Détenant 9,8% du capital de CS, l’actionnaire saoudien a déclaré à l’agence Bloomberg qu’il ne soutiendrait pas l’établissement bancaire en injectant des milliards supplémentaires.

Il n’en fallait pas plus pour provoquer la chute du cours de l’action déjà au plus bas après la faillite de la Silicon Valley Bank. «C’est une vraie crise de confiance qui frappe CS», réagit Fabrizio Quirighetti, chef du département multi-asset de la société d’investissement Decalia. «Il arrive à cet établissement bancaire d’importance systémique ce qui toucherait toute personne ou société endettée – même si elles perçoivent d’importants revenus – dont les bruits de difficultés financières à son encontre, avérés ou non, s’amplifient: on ne lui prête plus d’argent, les difficultés s’aggravent et le cercle vicieux est enclenché.»

Stopper la panique

Comment stopper la panique? A la suite de la faillite de la Silicon Valley Bank aux Etats-Unis, CS commence à être perçu comme un acteur bancaire fragile et les investisseurs, à l’instar de la SNB, le lâchent. «La situation de CS est pourtant tout à fait différente de cette banque américaine qui a trébuché à cause de problèmes de mauvaise gestion basique de son bilan», ajoute Fabrizio Quirighetti. «Mais le mouvement d’affolement est très difficile à arrêter.»

Est-il possible de restaurer de toute urgence la confiance en injectant des milliards? Il est vrai que l’opération de sauvetage d’UBS après la crise financière de 2008 avait réussi. Fabrizio Quirighetti: «Il faudrait pour cela un investisseur qui accepte de verser un paquet de milliards. Dans cette situation, on ne peut pas y aller par petites doses. Notez que la Deutsche Bank s’est retrouvée en 2016 à peu près dans la même situation: elle a pu retrouver la confiance après une opération de sauvetage réussie.» L’établissement allemand a procédé pour cela à des licenciements en masse et créé une «mauvaise banque» pour se débarrasser des actifs douteux.

Rééditer l’épisode d’UBS?

Un gros prêteur pourrait donc sauver la mise de CS, mais qui? Fabrizio Quirighetti rappelle le cas d’UBS qui a été sauvée par la Confédération, donc par les fonds publics… avec à la fin du processus un gain pour les contribuables. Des établissements bancaires comme la Banque cantonale vaudoise ou genevoise ont été quant à eux sauvés par les contribuables vaudois et genevois. Dans le cas de CS, il faudrait selon le spécialiste une intervention de la Confédération ou de la BNS. «Investir une grosse dose d’argent est absolument nécessaire pour éteindre le feu», ajoute-t-il. «Notez que non seulement UBS mais aussi bon nombre de banques européennes ont connu un sauvetage réussi grâce à cette méthode dite du «bazooka», selon une expression de Mario Draghi, ancien directeur de la Banque centrale européenne.»

Face à une pareille chute du prix de l’action à 1,55 franc, Sergio Rossi, professeur d’économie à l’Université de Fribourg, est pessimiste pour l’avenir de la banque d’investissement du CS international, qu’il faut distinguer de son entité suisse. «Pour l’instant, seule la branche investissement dont le siège est aux Etats-Unis est touchée», explique Sergio Rossi. «Les actionnaires de cette enseigne ne sont du reste plus uniquement suisses mais surtout saoudiens et qataris. Et c’est intéressant de constater que lors de l’éclatement de la crise de 2008, les problèmes d’UBS ont aussi commencé aux Etats-Unis.»

Gouvernance en question

Au niveau de la gouvernance, le professeur Rossi fait remarquer que le CS ne s’est pas séparé de sa banque d’investissement, qui est une activité rapportant gros en période favorable mais qui s’avère dangereuse lorsque les marchés sont secoués par des faillites bancaires comme c’est le cas avec la Silicon Valley Bank qui a fermé boutique. Les problèmes rencontrés par le fonds Archegos en 2021 qui a fait perdre 4,4 milliards de francs suisses à CS en sont un exemple.

«Vieille Dame» en danger

Une faillite de la banque d’investissement de CS pourrait toutefois créer une vague de retraits d’argent liquide par les petits épargnants de l’entité helvétique et la mettre en grande difficulté. Les milliers de PME qui y ont des emprunts également car elles devraient trouver d’autres banques leur accordant des crédits à des taux d’intérêt qui seraient certainement plus élevés. Il faut donc opérer un sauvetage urgent de la banque d’investissement? «Vu que le siège est aux Etats-Unis, ce serait à la Banque centrale américaine de le faire», lance Sergio Rossi. «Mais jamais les Etats-Unis ne consentiront à sauver un établissement bancaire considéré comme une banque suisse.»

Voilà qui mettrait la «Vieille Dame de la Paradeplatz» en grande difficulté et qui porterait atteinte à la place bancaire suisse tout entière. La Confédération pourrait apporter l’argent frais comme elle l’a fait pour UBS, sommes qui ont du reste été remboursées par l’établissement bancaire. «Oui, mais les actions ont été revendues à perte par la suite par la Confédération», précise le professeur. «Ce sont les taux d’intérêt élevés payés par UBS qui ont permis d’affirmer que l’opération de sauvetage d’UBS a apporté des bénéfices pour les finances publiques de la Confédération.»

Pour André Helfenstein, le patron des activités helvétiques de CS qui s’est exprimé hier à Blick TV, on n’en est pas encore là. Il décrit son établissement comme «très bien capitalisé». Face à l’hémorragie de liquidités, l’établissement s’efforce de faire revenir ses clients et les capitaux perdus. Le groupe zurichois a subi l’année dernière des retraits massifs de liquidités de 123,2 milliards de francs, dont 110,5 milliards au seul quatrième trimestre. M. Helfenstein s’est «engagé à faire revenir» cet argent.

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