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Forum/Courrier des lecteurs

Des fées au pays des banques centrales


Paul Dembinski

Paul Dembinski

24 décembre 2020 à 02:01

Opinion

Au cœur de la nuit, la salle des machines de l’imprimerie des billets de banque s’anime. Une escouade de fées est à l’œuvre: elle a décidé de soulager l’humanité plombée par la déprime, aussi économique. En quelques minutes, la ligne de production est prête. Reste à décider de la quantité. Ce sera 1000 fr. par personne, soit un peu plus de 8 milliards. La production est lancée aussitôt et bientôt les cohortes de «Pères Noël assistants» pourront acheminer les hottes de livraison aux quatre coins de la Suisse pour qu’à la veille de Noël, le montant se trouve sous chaque sapin ou discrètement glissé dans les porte-monnaie.

Le lendemain, les médias sociaux sont les premiers à faire sonner les cloches de joie, les banquiers centraux et leurs fins limiers sont arrachés brutalement à leur repos. Oui, on a fait tourner les machines; oui, les billets sont parfaitement vrais; oui, tous les sas de sécurité ont été franchis sans effraction et sans laisser de traces. Les autorités politiques sont alertées, l’idée de perquisitionner chaque ménage pour confisquer les mystérieux cadeaux est vite abandonnée tant pour des raisons logistiques que faute de diagnostic sur l’origine – et les culpabilités – inexplicable de cette manne.

Dès l’ouverture des magasins, les chiffres d’affaires explosent, sous les masques (encore obligatoires) les sourires apparaissent, les commandes s’entassent, l’optimisme devient contagieux. Quelques semaines plus tard, l’impulsion est toujours perceptible, la consommation augmente, on recrute, des salaires, des impôts, des primes sont payés, et même un peu d’épargne alimente les comptes bancaires. Dans la foulée, le Seco augmente ses prévisions de croissance. Les économistes calculent scrupuleusement et appellent cela l’effet multiplicateur. Dans le langage des fées, c’est la fécondité entraînante de la gratuité.

Les économistes sont partagés. Les uns crient au sacrilège: une monnaie sans contrepartie comptable ne saurait exister. Il faut donc anéantir cette émission de vraie-fausse monnaie ou restreindre, pour la compenser, l’offre de monnaie dans les mois à venir. Tout cela pour éviter l’inflation annoncée par la sacro-sainte théorie (aux abonnés absents depuis dix ans). Les autres économistes se frottent les mains face à cet impensable devenu réalité. Voilà plus de dix ans qu’on navigue à vue, les théories vénérables ayant été démenties par la réalité. Tant mieux – disent-ils – si les fées ont trouvé le moyen de déjouer la discipline comptable, institutionnelle et monétaire: vivons cette expérience unique jusqu’au bout. Personne n’étant lésé, les mesures correctives n’ont pas lieu d’être. Peut-être apprendrons-nous ainsi quelque chose d’important sur la monnaie, la banque centrale ou la sortie de dépression. De plus, que pèsent les 8 milliards des cadeaux de Noël face à des centaines de milliards que la BNS met laborieusement en circulation depuis dix ans déjà?

Pour donner une touche artistique à ce conte, à voir et à revoir La vie est belle de Frank Capra (1946).

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